« Je crois avoir donné ce que j’avais à offrir »

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

« Je crois avoir donné ce que j’avais à offrir »

27 juin 2002
Après douze ans passés auprès des blessés de la vie, Jan de Haas quitte la pastorale des rues lausannoise
En septembre, il rejoindra l’Entraide protestante comme délégué pour l’Europe. Rencontre avec ce pasteur atypique qui cultive farouchement sa capacité d’indignation.« Y a des sacrés tronches, n’est-ce pas ? Tu vois, c’est notre plus grand trésor, ces photos. Notamment pour tous ceux qui ont passé ici et qui ne sont plus parmi nous. C’est une trace, un souvenir de la vie de ces dizaines de jeunes que j’ai portés en terre ». Le regard clair de Jan de Haas parcourt les classeurs de clichés. Après douze ans de présence auprès de ceux qu’il aime appeler les blessés de la vie, le pasteur des rues lausannoises passe la main. Pour un nouveau défi : dès septembre, il remplacera Serge Fornerod au sein de l’entraide protestante (EPER) comme délégué pour l’Europe orientale et le Caucase. L’occasion de renouer avec une éternelle envie de voyages née de son enfance passée à Rotterdam au milieu des bateaux.

« Depuis 1991, je crois avoir donné ce que j’avais à offrir. Il est bon que d’autres prennent le relais, continuent une partie de mon travail et développent aussi de nouvelles choses ». A quelques semaines du départ des locaux du Pré-du-Marché, où tant de trajectoires humaines se sont croisées, l’heure est aux bilans et aux souvenirs. Jan de Haas se remémore les grandes étapes de son parcours, depuis cette date de 1991 où l’on a fait appel à lui après douze ans de paroisse. « En fait, l’idée du ministère de rue provient d’une réflexion de la base. Les paroisses réformées se sont aperçues de l’absence des Eglises auprès de trois populations : les gymnasiens, les réfugiés et les marginaux".

§« Mon bureau ? ce sont les bistrots et les squats ! »§

A l’époque, pas grand monde sur ce terrain à part Mère Sofia. « Mon cahier des charges ? Faire un bout de route avec ces personnes là où elles étaient. Mon bureau, c’était les bistrots, les squats, les salons de jeux ». En 1993 s’ouvre la chapelle de la Maladière. Deux ans plus tard se crée la Pastorale de rue, à la rue de l’Ale d’abord et aujourd’hui au Pré-du-Marché. « Techniquement, les choses ont changé, notamment parce qu’il y a beaucoup plus de personnes compétentes. Nous sommes à l’origine du ‘Passage’, du ‘Point d’eau’. Mais fondamentalement, nous continuons un même boulot d’accueil et d’accompagnement ».

Jan de Haas l’avoue : cette zone qu’il croyait connaître un peu, il se l’est prise en pleine figure. « Par une sorte de pudeur, cette population ne montre pas l’ampleur de son désarroi et de ses difficultés quotidiennes. La vie dans la rue est incroyablement dure. Beaucoup plus que je l’imaginais ». Il a fallu comprendre l’urgence permanente, l’aspect souvent chaotique des relations : « Les histoires ne sont jamais linéaires. Tu vois quelqu’un deux fois par jour pendant un mois. Et puis tout-à-coup, il disparaît. Tu apprends alors à aimer te rappeler des choses simples, d’un sourire, d’un instant de vrai partage ».

§Toujours en lien avec l’EgliseAutre idée battue en brèche : si la pastorale de rue a parfois donné des cheveux blancs au Conseil synodal, Jan de Haas et son équipe n’ont jamais agi en francs tireurs. « Certaines de nos demandes ont un peu déstabilisé, comme la distribution de seringues. C’était la réalité du terrain, et il fallait faire avec. Cependant, notre lien avec le groupe d’appui pastoral a toujours été très fort, même si certains considèrent à tort que la rue demeure en marge de l’Eglise comme de la société ». L’épisode récent de la page Internet fermée par la justice ? « L’excès de zèle d’un juge, d’ailleurs désavoué par sa hiérarchie. Cela n’a rien à voir avec ma décision ».

Pas de désespoir, ni d’euphorie en fin de compte. Certaines situations se sont améliorées, comme celle des toxicomanes. De nouveaux problèmes sont apparus, tel celui des sans papiers, devenu très pressant : « Leur nombre ne cesse de croître. C’est le dernier moment pour s’en occuper avant que les choses ne déraillent vraiment. Il y aura toujours des gens en marge. La question est de savoir comment leur offrir, de manière presque intrusive, une écoute de qualité ».

Alors qu’il rentre dans le rang, qu’il s’apprête à travailler « derrière les décors », Jan de Haas avoue ressentir une profonde reconnaissance pour la confiance que beaucoup lui ont accordée. Il a tellement appris, aussi, de ces pauvres, « riches en humanité ». Et souvent, aussi, en spiritualité : « Ce que l’Evangile m’apprend sur l’essence de l’homme s’est aussi renforcé au gré des rencontres comme des douleurs ». Pour le pasteur, la foi ne constitue pas une condition pour ce travail. Certains athées le font très bien. « Elle m’apporte une dimension supplémentaire, parce que je vois chacun comme une créature de Dieu. La royauté du Christ, je la ressens là où elle se trouve vraiment, dans la souffrance et l’abandon ».