15 juin 2002, journée des Réfugiés :"Rester dans l'oisiveté forcée, ça ronge!"

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15 juin 2002, journée des Réfugiés :"Rester dans l'oisiveté forcée, ça ronge!"

14 juin 2002
Chaque matin depuis une semaine, les requérants d’asile disposent à Lausanne d’un nouveau lieu d’accueil pour se retrouver, solliciter une aide ou un conseil et sortir de leur isolement
Instigatrice de la cafétéria de La Tour Grise, Brigitte Zilocchi, aumônière des immigrés et médiatrice Eglise-Réfugiés, a déjà mis sur pied trois autres lieux d’accueil où les exilés se sentent, l’espace d’un matin, un peu en famille. Témoignages de ceux que leur statut de demandeurs d’asile condamne à une pesante inactivité. « Rester dans l’oisiveté depuis 2 ans, ça ronge et ça pousse parfois à des comportements à risques, constate, dans un français châtié, Christophe, 32 ans, ingénieur des mines, originaire du Cabinda, enclave sous contrôle angolais ,entre le Congo et le Zaïre. Son métissage lui complique la vie avec l’Office fédéral des réfugiés (ODR) chargé de statuer sur son sort. S’il avait la peau très foncée, son origine d’Afrique noire serait plus évidente. Mais voilà, il a le teint clair et se revendique d’une terre occupée par l’Angola : « On me prend pour un Nord-Africain. Je n’ai pas un lignage cohérent qui crève les yeux ». Son sort dans notre pays dépend entièrement de la bonne volonté des fonctionnaires qui le reçoivent et il vit en permanence avec la menace d’être renvoyé. La vie au jour le jour, sans perspectives, devient vite désespérante.

« Je suis ici comme un navire sans radar ! » précise-t-il, les yeux infiniment tristes. Sans repère, il tient droit grâce à sa foi qui l’empêche de sombrer quand il rumine trop. « Autrefois, j’avais envisagé de devenir séminariste, explique cet ancien élève d’une école tenue par des sœurs catholiques. La vocation n’a pas tenu la route, mais l’engagement chrétien est resté très fort.

§Viens chez Brigitte, elle est sympa C’est à la Cafétéria inaugurée la semaine passée au 26 du chemin de la Tour Grise à Lausanne que Brigitte Zilocchi, aumônière des immigrés et des réfugiés, a rencontré Christophe. Il était venu lui demander de l’aide concernant son dossier. Elle l’a invité à se joindre au repas qorganisé tous les jeudis au Centre paroissial de Béthusy, dans le haut de la ville, où se retrouvent une bonne trentaine de réfugiés autour d’un plat concocté par l’un d’entre eux. 20 bénévoles se relaient chaque semaine pour animer le lieu, servir les repas et se mettre à l’écoute des hôtes du lieu.

Certains exilés sont des habitués de longue date des rendez-vous de Brigitte Zilocchi, comme Mohamad, ancien général afghan qui a obtenu un permis B de réfugié. Conteur jovial, il crée une ambiance chaleureuse à sa table, parlant un français laborieux qu’il entrecoupe de dialogues en persan avec Nasser, son voisin iranien, informaticien de formation. « Ici, personne n’est raciste, c’est reposant ! ,apprécie-t-il, personne ne nous juge". Christophe écoute, discret, presque invisible, les convives de toutes nationalités regroupés autour de la table. «On ne peut pas forcer les relations », m’a-t-il confié tout à l’heure. Encore faut-il pouvoir rencontrer des gens, des autochtones comme il dit, pour tisser des liens et avoir une chance de s’intégrer dans la vie locale. Ce qui pour un réfugié, n’est pas chose facile par les temps qui courent, d’autant plus s’il a la peau colorée. Christophe ne demande pas la lune, juste pouvoir « rendre de bons services » là où il vit désormais et valoriser ses compétences professionnelles et humaines. Pour lui, ce qui compte par-dessus tout, c’est l’humanité qui est en chacun de nous. Cette humanité qu'il essaie de préserver. A plonger dans son regard, on voit que la sienne est bien malmenée : l’incertitude de sa situation en suspens, l’inactivité forcée, le racisme ordinaire de la rue et le déracinement le minent.

§Ni d'ici, ni d'ailleurs Déracinée, Anna l’est aussi. Elle est suissesse, née au Brésil. Elle n'est ni d’ici ni d’ailleurs. C’est justement parce qu’elle se sent étrangère partout qu’elle a proposé ses services à Brigitte Zilocchi. « Ici, c’est un peu notre famille ! » dit-elle. Mohamad, toujours en verve, ajoute : « Ici, personne n’est raciste, c’est reposant ! ».

Tous les jeudis depuis le début de l’année, Brigitte Zilocchi et les nombreux bénévoles qui l’assistent, ont servi 850 repas. Le bouche à oreille fonctionne bien. La cafétéria qu’elle vient d’ouvrir à la Tour Grise, fait le plein chaque matin. On y vient prendre un petit-déjeuner de l’abri PC tout proche qui héberge des requérants d’asile, ou des logements de la FAREAS juste au-dessus ; quelquefois on passe au vestiaire pour s’y fournir en vêtements.

Dans l’assemblée, pas une seule femme. Cette absence a décidé Brigitte Zilocchi à ouvrir la cafétéria un après-midi par semaine à l’intention des femmes exclusivement pour leur permettre de sortir de chez elles, de changer d’air, de discuter, de solliciter un conseil, une aide, d’ouvrir leur cœur quand elles n’en peuvent plus.

Zelda, boubou flamboyant et coiffure savamment gominée, attend son tour derrière la porte du bureau où Brigitte Zilocchi reçoit ceux qui ont besoin de confidentialité. Elle tient à remercier la diacre pour le stage qu’elle lui a obtenu dans un établissement médico-social, qui a débouché sur un engagement. Elle est à la fête et le clame d'une joyeuse façon! Pour un rire, que de regards perdus, que de détresses entrevues autour des tables conviviales de Brigitte!