Prisons vaudoises: fini le temps des matons

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Prisons vaudoises: fini le temps des matons

13 juin 2002
Depuis quelques années, une profonde mutation pénitentiaire est en marche en Suisse romande
Fini le maton à la matraque facile et les règlements coercitifs. Place au dialogue, au respect, à la conception d’un milieu carcéral comme lieu de reconstruction de soi. Une part grandissante du personnel choisit ce métier par conviction humaniste. Charles Péquignot fut diacre avant de devenir directeur des maisons d’arrêt et de préventive. André Salesse, surveillant à Orbe, ne cache pas sa foi catholique. Les clichés qui collent à la prison ont la vie dure. En témoigne le nombre de films stigmatisant un univers carcéral impitoyable, où la violence côtoie la corruption et la haine d’autrui. Autant dire qu’une visite à Charles Pequignot, directeur des cinq maisons d’arrêt et de préventive vaudoises (MAPs), réserve son lot de surprises.

A 47 ans, l’homme reçoit avec un large sourire dans son bureau de Bois-Mermet, la vieille prison lausannoise. Grosse bague et cheveux platines, look décontracté et carrure de culturiste, le patron roule en moto et fume de pipe : l’image du directeur austère et dédaigneux en prend un coup. « En juillet, cela fera 8 ans que j’occupe ce poste. J’ai toujours aimé les durs, ceux qui passent à l’acte », glisse-t-il en farfouillant dans sa blague à tabac.

§Entre chaleur humaine et fermetéEducateur spécialisé à Fribourg, celui que beaucoup appellent « Charly » s’engage ensuite dans une formation diaconale. En Valais, il travaille dans la rue puis crée la Fontanelle, centre spécialisé pour les adolescents difficiles. « Les mineurs, c’est épuisant. Il n’y a pas de barreaux, et pas mal de violence. il faut instaurer des règles, fixer des limites. Ici, l’enfermement constitue un outil de travail, une mesure éducative. Même si la relation est faussée puisque rendue obligatoire, nous tentons de respecter les droits de l’homme en même temps que le règlement ».

Sous les auspices d’André Vallotton, chef du service pénitentiaire, le canton de Vaud connaît un lent changement des mentalités. On considère notamment que la lutte contre la récidive passe par une réinvention de la prison comme lieu où l’on peut se « retrouver », et développer ses capacités. Et l’on rappelle qu’en préventive, chaque détenu doit être considéré comme innocent tant qu’il n’a pas été condamné. « Nous ne sommes pas là pour venger la société ou rendre la justice, souligne Charles Pequignot. Il convient de tenir compte des différentes cultures, et des provenances ethniques. On essaie aussi de proposer un maximum d’activités en considérant ces gens comme des personnes à reconstruire ».

Ainsi, à Bois-Mermet comme à La Croisée d’Orbe ou à Vevey, un accent particulier est mis sur la réinsertion. « Il faut pouvoir se poser des questions sur sa vie, proposer un équilibre entre chaleur humaine et fermeté. Un équilibre difficile à trouver », reconnaît Charles Pequignot.

§Pas de prosélytismePour le patron des MAPs, la sécurité des établissements pénitentiaires passe aussi par un temps de captivité vécu dans la dignité. Ce qui nécessite une amélioration des conditions de détention avec un taux d’occupation redescendu aux environs de 90%. Ce qui implique également la capacité du personnel à établir la relation, et une prise en charge de plus en plus personnalisée. Des notions particulièrement importantes en préventive, où le détenu ne peut pas sortir des murs de la prison. « Le surveillant doit se préoccuper de la vie et de l’avenir du détenu. Nous sélectionnons donc des volontaires pour qui les rencontres humaines sont importantes, ce qui n’a rien à voir avec de l’apitoiement. » L’âge moyen des 90 gardiens vaudois – on préfère dire aujourd’hui agents de détention – tourne autour des 30 ans, souvent avec un vécu professionnel antérieur. Et parfois une foi profondément ancrée (lire encadré).

Charles Pequignot voit dans son activité actuelle une continuité avec son passé de diacre : « La prison est une vraie paroisse, le parvis de l’Eglise, là où les gens n’osent pas de entrer, mais où ils se découvrent quand même ». Pas question cependant de faire du prosélytisme. Le directeur avoue se montrer plus exigeant avec les candidats « engagés ». « Nous vérifions qu’il s’agit d’une foi en action, vécue uniquement dans les actes. Ils ne doivent pas confondre leur activité avec celle des aumôniers ».

Certains collègues voient dans ses efforts une marque de laxisme, estiment qu’il ne faut pas transformer une cellule en un cinq étoiles. « C’est absurde, parce qu’une privation de liberté constitue toujours une épreuve douloureuse. Nous nous efforçons simplement de rendre la prison humaine. »