Vote pour l'extrême droite en France:Faut-il condamner ou comprendre? Les Eglises hésitent

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Vote pour l'extrême droite en France:Faut-il condamner ou comprendre? Les Eglises hésitent

13 juin 2002
19% des catholiques pratiquants ont voté Jean-Marie Le Pen au premier tour des élections présidentielles
Les intégristes ne sont donc pas, et de loin, les seuls chrétiens convaincus à soutenir le Front National. Comment peut-on concilier convictions chrétiennes et thèses de l’extrême droite ? Les Eglises de France ont appelé à ne pas voter pour le leader du FN au deuxième tour. Quelles questions le vote d’extrême droite pose-t-il à celles et ceux qui prêchent l’Evangile ? Enquête en Alsace voisine.

Hans Barth est pasteur depuis 13 ans à Neuwiller lès Saverne. Un tiers des habitants de cette petite ville du Bas-Rhin a voté extrême droite lors des dernières présidentielles. Cela ne fait donc pas l’ombre d’un doute : certains de ses paroissiens ont voté Jean-Marie Le Pen. Pourtant, cette réalité pèse comme une chape de plomb sur les conversations au village : personne ne sait qui a voté pour le Front National ou le Mouvement National Républicain (MNR) de Bruno Mégret. Seules quelques allusions sur le pas de la porte font dire au pasteur que des paroissiens pratiquants votent extrême droite : « Voilà une enveloppe pour la mission, Monsieur le pasteur, mais s’il vous plaît… pas pour les nègres.»

§Catéchiste et militante FNCorinne Burey enseigne le catéchisme à l’école d’Husseren-Wesserling depuis deux ans. Les enfants adorent ses cours et le curé est très satisfait de son travail. Coup de tonnerre cependant dans le Haut-Rhin : on apprend dans le courant du mois de mai que Corinne Burey se présente aux législatives sous les couleurs du Front National. La réaction de l’archevêché de Strasbourg ne se fait pas attendre : l’évêque Mgr Kratz et le curé de la paroisse Gérard Ballast demandent à Corinne Burey de choisir entre son mandat de catéchiste et sa candidature au sein du parti de Jean-Marie Le Pen, l’un n’étant pas compatible avec l’autre aux yeux de l’Eglise. Corinne Burey demande une entrevue avec son évêque, des lettres de soutien lui parviennent tous les jours et le curé de la paroisse ne répond plus aux appels qui le pressent d’intervenir pour que Madame Burey puisse poursuivre son travail de catéchiste. Dimanche dernier, le Front National a fait un bon score dans la vallée de Thann où Madame Burey a été très présente durant la campagne électorale mais son parti arrive loin derrière le député sortant Jean-Luc Reitzer (UMP) d’ores et déjà réélu. « Je n’ai toujours pas de réponse mais je ne compte plus sur un entretien avec Mgr Kratz. Je ne pense pas reprendre mon poste de catéchiste en septembre, mais je compte bien faire parler de moi. Je n’ai jamais fait de politique en classe, aucun enfant n’a été retiré de mon cours et je me battrai pour faire connaître la véritable « chasse aux sorcières » lancée contre le Front national dans ce pays. » Corinne Burey a d’ores et déjà annoncé qu’elle se présenterait aux élections régionales de septembre, toujours pour le compte du FN.

§Compatibles ou incompatibles ?Pas de propos racistes dans la bouche de Corinne Burey mais lorsqu’on l’interroge sur sa compréhension de l’amour du prochain, elle adhère à 100% aux thèses de son parti : « La Bible dit qu’il n’y a pas d’étranger, mais dans la vraie vie, c’est différent, il existe une sorte d’échelle d’affection : privilégier les Français, dire « les Français d’abord », c’est parfaitement logique… Nos évêques veulent-ils faire de la France une nouvelle Bosnie, un nouveau Tibet où les Français seraient les Tibétains ? »

L’Eglise de la Confession d’Augsburg d’Alsace-Loraine, l’ECAAL, est elle aussi remise en question par l’engagement politique de l’un de ses ministres, Serge Burglé, un prédicateur laïc qui vient de quitter son église luthérienne pour des raisons politiques et théologiques : « Ce n’est un secret pour personne, l’ECAAL roule à gauche et moi on me fait comprendre que ma candidature au sein du MNR de Bruno Mégret est incompatible avec l’Evangile. Pourtant, contrairement à tous ces collègues qui donnent des consignes de vote en chaire, je n’ai jamais fait de politique dans mes sermons. Je milite pour le MNR parce qu’il faut absolument faire quelque chose. Je connais les banlieues, ce qui manque aux politiciens c’est un esprit de service. Moi c’est l’Evangile qui me le donne et redonner un espoir aux jeunes aujourd’hui, c’est oser leur dire non, même si c’est impopulaire ! »

Comme près de 20% des Français, Serge Burglé a choisi un parti aux propositions musclées. Loin des politiques politiciennes des partis gouvernementaux, il faut maintenant faire preuve, à son avis, de pragmatisme et s’occuper des problèmes concrets des gens.

§Sentiment d'injustice De nombreux chrétiens se rallient à la même option politique que Serge Burglé. L’expérience de Michel Heinrich, pasteur à Dettwiller dans le Nord de l’Alsace, une région qui vote largement pour les partis d’extrême droite depuis 1985, conduit en tout cas à ce même constat. Lors d’une préparation de baptême, le père de l’enfant à baptiser confiait à son pasteur qu’il allait voter pour Jean-Marie Le Pen : « Lorsque j’essaie de leur montrer que les thèses de ce parti sont incompatibles avec l’Evangile que nous venons de partager, raconte Michel Heinrich, je réalise que leur décision ne résulte pas d’une vraie réflexion.On est dans l’ordre du réactif : le sentiment d'injustice prime la réflexion. Difficile à entendre pour un pasteur qui, comme beaucoup d’autres dans la région, milite dans le cadre d’un mouvement chrétien contre l’extrême droite « Comprendre et s’engager », un mouvement qui même en 1999, lors de ce qu’on a appelé la « querelle des chefs » entre Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret, n’a jamais cru à la perte de vitesse des idées d’extrême droite en France.

Quelle position les Eglises doivent-elles alors défendre ? Si Serge Burglé affirme avoir été victime de pressions de la part de ses co-religionnaires, Freddy Sarg, son supérieur hiérarchique dément et regrette sa démission : « Si au nom de mes convictions chrétiennes, je désapprouve les thèses de l’extrême droite, je reste marqué par une image de mon ancienne paroisse de St Matthieu à Strasbourg : autour de la même table du Seigneur communiaient un militant du parti socialiste, le directeur de cabinet d’un ministre de droite et un sympathisant d’une droite plutôt extrême, le Club de l’Horloge. L’Eglise doit rester au-dessus de la mêlée pour oser la critique d’éventuelles dérives des uns et des autres ».

Bien des pasteurs admettent aussi leurs doutes. « Nous avons clairement appelé à ne pas voter Le Pen le dimanche 28 avril. Un membre de la paroisse de ma femme est sorti de l’Eglise avant même qu’elle n’ait fini de prêcher et a écrit une lettre ouverte au président de notre église Marc Lienhard pour la dénoncer. Si c’était à refaire, nous referions la même chose, mais le risque de se mettre à dos des paroissiens qui trouvent les Eglises déjà trop à gauche ou des paroissiens qui sont tentés par le vote extrême droite est bien réel », avoue Christian Greiner, jeune pasteur.

§Entendre les frustrations de certains paroissiensMême si les législatives semblent donner un coup de semonce aux partis d’extrême droite, les Eglises de France s’inquiètent et s’interrogent : comment entendre la frustration et les peurs de ces 20% d’électeurs qui optent pour les thèses des partis extrêmes ? Le mouvement « Comprendre et s’engager » multiplie les soirées débats dans le Nord de l’Alsace notamment, mais son militantisme affiché contre les thèses de l’extrême droite amène certainement ce même 20% de l’électorat à boycotter ces soirées. Une piste réside peut-être dans l’initiative de Georges Bronnenkant, pasteur à Eckwersheim, village de l’agglomération strasbourgeoise, qui depuis quelques années redonne le goût du débat d’idées dans sa paroisse avec des soirées intitulées : « Des villageois s’adressent aux villageois », qui font le plein à chaque fois. On le soutient déjà dans son projet de parler du vote pour l’extrême droite lors d’une de ces prochaines rencontres : « Il faudra faire très attention à la manière dont nous inviterons les gens, le but étant de les amener à parler de leurs insatisfactions, avant qu’ils ne transforment ces ressentis en un vote de protestation », confie le pasteur.

§Retrouver un discours clair sur la loiLes Eglises devraient sans doute aussi procéder à une sorte de « mea culpa » comme le suggère Gérard Krieger, pasteur et psychothérapeute à Strasbourg : « En survalorisant le discours sur l’amour et la grâce, les Eglises ont contribué à la perte généralisée de repères. Il faut retrouver un discours clair sur l’importance de la loi et « désidéologiser » le débat : diaboliser la répression pour ensuite mieux la récupérer à des fins électorales, ne contribue aucunement à construire une société. Il faut retrouver un discours clair sur la loi, comme c’est d’ailleurs le cas dans la Bible et oser parler du côté indissociable de la répression et de la solidarité, en famille, en Eglise comme en politique. »