Les grandes religions débarquent en classe

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Les grandes religions débarquent en classe

5 avril 2002
Le fait religieux a-t-il sa place dans le cursus scolaire ? Et si oui, laquelle ? En Suisse romande, l’appréciation de cette question diffère largement selon les régions et les rapports entre cantons et Eglises
Tour d’horizon à l’heure où la France parle beaucoup du rapport de Régis Debray sur le sujet.

La France a décidé de prendre à bras-le-corps le problème de l’inculture du sacré. Et de briser la tabou de l’enseignement de la religion à l’école. Le rapport que le philosophe Régis Debray vient de remettre au ministre de l’éducation nationale préconise ainsi de dépasser une « laïcité d’incompétence » pour atteindre une « laïcité d’intelligence », qui prendrait le phénomène religieux pour ce qu’il est : un fait de civilisation incontournable.

En Suisse, fédéralisme oblige, cette question demeure du ressort des cantons. Issue des Eglises et des Etats en charge de l'enseignement religieux (Berne, Jura, Fribourg, Vaud et depuis peu Valais), l’association Enseignement Biblique Romand (ENBIRO)a pour mission d’éditer du matériel dans le cadre de la scolarité obligatoire. Et justement ces programmes sont en train d’être totalement revus (lire encadré). Selon Claude Schwab, président d’ENBIRO, « La transmission du patrimoine biblique, compris comme un héritage éthique, historique ou encore artistique, demeure notre priorité. L’approche se veut historique et culturelle, et non pas confessionnelle, en privilégiant la connaissance des sources de notre culture. »

Mais l’école comme la société devient cosmopolite et les programmes de religions ne peuvent plus se limiter à la Bible. Aussi, après le calendrier inter-religieux, les nouveaux programmes mettront-ils l’accent sur « l’étude des diverses religions du monde dans leur histoire propre et dans leur interaction avec notre société. » De même, pour Claude Schwab, un tel enseignement doit laisser une place aux questions de sens, aux interrogations fondamentales des élèves, en leur proposant des repères loin de tout dogmatisme.

§Pas pour tout le mondeDe belles perspectives dont ne pourront malheureusement pas profiter tous les élèves romands. Car l’intégration du phénomène religieux dans l’enseignement scolaire demeure très diversifiée dans notre pays. Au nom de la séparation du spirituel et du temporel, des cantons comme Genève et dans une moindre mesure Neuchâtel, considèrent que la laïcité exclut de fait tout enseignement de ce type. « Nous préférons dispenser un cours d’éducation citoyenne », confirme au bout du lac Léman Claudine Udry, collaboratrice de la direction du cycle d’orientation.

Pourtant, en 1995, le Département genevois de l’instruction publique a lui-même mis sur pied un « groupe de travail exploratoire » sur la culture judéo-chrétienne à l’école. A suivi un rapport en 1999, qui recommande une « prise en compte plus explicite du fait religieux dans le cadre de l’enseignement. » Exhortation restée pour l’heure lettre morte. « Il faut dire que ce texte contient aussi un certain nombre de refus, notamment de la part d’associations de parents et d’enseignants opposés à toute ouverture de l'école laïque à l'approche du fait religieux», souligne le président d’ENBIRO.

§Heures facultativesA Neuchâtel, canton laïc, seules existent des heures facultatives dispensées par les Eglises qui s’assimilent plutôt à du catéchisme. « Nous travaillons cependant sur un projet qui permettrait d’intégrer l’histoire des religions aux cours d’histoire générale. Les enseignants recevraient à cet égard un complément de formation », explique Enzo Offredi, adjoint au responsable de l’enseignement obligatoire. Une commission cantonale inter-religieuse se consacre au contenu, ce qui ne va pas sans mal. « Cela prend du temps, parce que certaines attentes de communautés demeurent incompatibles avec des exigences pédagogiques. » Baptisé « culture religieuse et humanisme », ce cours devrait concerner les élèves de la 6e à la 8e année, « dès 2003 » selon Enzo Offredi.

Ailleurs, comme en Valais, il y a de grandes discussions entre les Eglises chargées par la loi de donner cet enseignement, et le Département de l'éducation, qui souhaite ouvrir les programmes à la réalité multiculturelle de la population scolaire et à un contenu plus informatif et moins catéchétique. L'Etat du Valais vient d'adopter de nouveaux moyens d'enseignement constitués par ENBIRO et d'autres sources.

De manière générale, la formation des maîtres pose aussi problème. Car les lacunes observées auprès des plus jeunes se retrouvent parmi une partie des enseignants. Seuls quelques cantons, à l’instar de Vaud, proposent un complément facultatif dans le cadre de la formation continue mais rien d’obligatoire. Mais les exigences de cette formation se heurtent à la surcharge des enseignants et aux priorités accordées à des disciplines considérées comme plus imortantes. Pourtant, comme semble le montrer le succès de la branche à option introduite dans les gymnases de ce même canton, la demande existe.