Livre-vérité sur les clochards :Descente au fond de la nuit et de l’exclusion

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Livre-vérité sur les clochards :Descente au fond de la nuit et de l’exclusion

21 février 2002
« Les clochards, c’est la négation de l’humanisme, le contraire de ce que l’humanité aime penser d’elle-même
» Philosophe, anthropologue et psychanalyste, Patrick Declerck a étudié durant 15 ans ceux qu’il appelle « les naufragés » dans un ouvrage choc, véritable plongée dans les abysses de la société. Il nous livre une étude scientifique, mais surtout un regard profondément humain sur des vies en morceaux. A Paris, dans toutes les grandes villes, impossible de ne pas les voir. On a beau éviter de les regarder, leur présence nous agresse. Les clochards sentent mauvais, sont ivres d’alcool, d’exclusion et de pauvreté. En révolte contre cette société dont ils sont les victimes, c’est la vie elle-même qu’ils refusent, rêvant d’un impossible ailleurs.

Ces « naufragés », écrit Patrick Declerck, « on ne peut pas ne pas les haïr. » Et pourtant, combien le livre de ce philosophe, anthropologue et psychanalyste français respire d’amour pour ces « hommes en miettes » qu’il a soignés, écoutés et côtoyés durant près de 15 ans dans les foyers et les rues de Paris. « Ils ont cette haute noblesse de ne plus faire de phrases. (…) Ils traversent la vie en titubant, en claudiquant, à genoux, en rampant. Mais ils la traversent tout de même. Se suicidant très rarement, ils préfèrent rester là, pour rien, jour après jour, à contempler hébétés et hilares la postérité des asticots. Funambules pitoyables. Mais glorieux, parce que sans retour. »

§On boit. On s'engueule. On s'ennuie.Pour mieux observer cette humanité délabrée, l’auteur n’a pas hésité à partager leurs tristes nuits en se faisant embarquer par les « bleus de Nanterre. » En 1986, il collabore à la création de la première consultation d’écoute et y réalise près de 2000 entretiens. A Nanterre, au Centre d’accueil et de soins hospitaliers, il assiste à 5000 consultations de médecine. Et chaque fois, ou presque, la même histoire. Le boulot perdu à cause de l’épouse partie ou vice-versa, avec l’alcoolisme comme corollaire, alors qu’il est souvent à l’origine de la déchéance. Des récits qui ont pour fonction « de normaliser, de désangoisser et de déculpabiliser les sujets à leurs propres yeux comme à ceux d’autrui. »

La vie dans la rue ? « On mendie. On boit. On s’engueule. On reboit. Et par dessus tout, on s’ennuie !», écrit Patrick Declerck. Deux constantes : la fatigue et surtout l’alcool. Dans leur immense majorité, les clochards sont gravement alcooliques. « Un alcoolisme bien antérieur à leur clochardisation et qui en est l’une des causes majeures. » D’après des mesures pratiquées à l’éthylomètre, la moyenne tourne autour des cinq litres de vin par jour. A cela s’ajoute des médicaments psychotropes que les clochards consomment en quantité et qui font d’ailleurs l’objet d’un important trafic. Bref, « ils sont le plus souvent ivres et hagards. L’alcool, la malnutrition et la fatigue les condamnent à vivre un état chronique de faiblesse et d’épuisement », d’autant qu’ils dorment mal, sans cesse réveillés par le froid, la pluie, la police ou la peur de l’agression. Alors, « la confusion s’installe, qui sert aussi à protéger d’une lucidité que ne saurait être que terrifiante. (…) Devant les regards qui se détournent, il faut, pour continuer d’exister, lutter contre le sentiment insidieux d’être devenu invisible, comme le sont les fantômes. »

§Structures d’accueil en questionUne vie dure, où tout est toujours à recommencer. Retrouver à manger, dénicher un coin pour dormir. Dans ses pages, Patrick Declerck pointe le doigt sur les subtiles connivences qui existent entre ces exclus et ceux qui s’en occupent au sein des structures étatiques. Il avoue ne « jamais avoir connu d’exemple de réinsertion » parmi les personnes gravement désocialisées. Selon ses observations sur le terrain, les structures d’accueil ne sont pas adaptées. Le système associatif reste un « bricolage permanent » où le souci d’autrui côtoie la « crapulerie sordide ». « Une dépression se soigne en un ou deux ans. Pour l’alcoolisme, il faut plusieurs années. On ne propose que des hébergements ponctuels d’une ou de quelques nuits. La fonction asilaire représenterait ainsi la seule structure adaptée à cette population, à sa relation masochiste au corps, à son degré d’autoabandon. « On est dans une autre logique que le chômage ou la pauvreté, il s’agit de pathologie. »

La plupart des clochards que Patrick Declerck a rencontrés sont des rescapés d’une enfance polytraumatisée. Abus sexuels, abandons, violence, « l’alcool pour les plus âgés, la polytoxicomanie pour les plus jeunes relèvent du même besoin : celui de ne plus penser, de nourrir le vertige interne de sa propre faillite. » Une promenade hallucinante aux limites de l’humain.

§UTILE

Patrick Declerck, « Les Naufragés », coll. Terre Humaine, Plon