Frère Thimothy Radcliffe : La dernière Cène plutôt que Jurassic Park

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Frère Thimothy Radcliffe : La dernière Cène plutôt que Jurassic Park

28 juin 2001
La quête de la Vérité est au centre de l’existence des Dominicains
Elle éclaire aussi le discours de Thimothy Radcliffe, 85e maître de l’Ordre des prêcheurs. Dans un livre qui vient de recevoir le prix de littérature religieuse 2001, frère Thimothy s’entretient avec le journaliste Guillaume Goubert, envoyé spécial à Rome du journal La Croix. Un moment d’humanité et d’échange loin de toute bienséance ecclésiastique. On y découvre un Dieu débarrassé de tous les discours dogmatiques, une présence intime accessible au cœur de chacun. Ouvrir ce livre, c’est se plonger dans un dialogue fécond aux racines de la vérité, cette « lumière qui nous aide à voir la beauté et la bonté du monde créé par Dieu. » Grand maître des frères prêcheurs jusqu’en mai dernier, le frère Thimothy Radcliffe n’impose rien, ne dogmatise pas. Son regard sur le monde, sa relation constante à Dieu, ses rapports avec la grande famille dominicaine se nourrissent d’amitié, cette forme d’amour la plus parfaite pour Thomas d’Aquin parce qu'elle exalte l’égalité des personnes.

Grandir en intelligence, explique-t-il au journaliste Guillaume Goubert, signifie aussi grandir en amour. « La vérité, c’est aussi la possibilité d’une communion. Lorsque je suis en désaccord avec quelqu’un, je cherche à surmonter notre différend, je cherche une vérité plus grande que ma petite vérité et que la sienne. Cela sous-entend qu’il y a quelque chose au delà de notre incompréhension, que nous ne sommes pas seulement des bateaux qui se croisent dans la nuit. »

Et cette vérité, au bout du compte, c’est Dieu qui a fait toute chose et à qui vont toutes choses. Dieu se révèle à nous dans la personne du Christ, mais reste au-delà de notre entendement. Les mots ne peuvent enfermer Dieu, ils peuvent seulement s’en approcher. » Là réside la vraie liberté, loin de toute subjectivité qui nous enferme en nous-mêmes : « C’est la possibilité de la vérité qui nous rend libre. Pour l’autre, pour la découverte, pour la créativité. Toute grande création est un dévoilement, une révélation de ce qui est. »

Chercher la vérité par le débat, l’amitié, avec un respect et une acceptation de l’autre : « Nous avons tant besoin d’entrer en dialogue avec d’autres cultures, d’autres religions pour transcender les limites de notre identité européenne. »

§Nous sommes tous de la même chairFrère Radcliffe est à la fois exégète de la Parole et pleinement homme de son temps, animé de certitudes mais aussi d'un solide sens de l'humour. Il prend les dinosaures de Jurassic Park comme métaphore de notre société. « En fin de compte, nous laisse penser le film, la violence porte ses fruits au sein d’une jungle darwinienne où surgit une conviction : toute société humaine ne fonctionne et ne se développe que par une lutte sans merci entre les individus, chacun à la poursuite de son propre intérêt. »

A cette certitude, frère Radcliffe préfère celle représentée par la dernière Cène où du pardon naît une communauté, où un homme subit la violence et refuse de l’exercer : « Elle propose une image entièrement différente de ce que d’être un homme. Il nous offre son corps, C’est la Nouvelle Alliance, notre refuge et notre demeure. Le sens de notre vie n’est pas donné dans la quête de notre intérêt propre, mais dans l’acceptation du don de communion. Nous sommes la chair les uns des autres. »

Et si, comme l’espère le grand maître dominicain, l’Eglise doit être un lieu « où l’on ose débattre, chercher dans le dialogue une vérité dont nous ne pourrons jamais être les maîtres. » Parce qu’à travers la résurrection, « triomphe de toutes les limites et unité absolue », le Christ a « détruit la barrière » (Ep 2,14), parce que, rappelle frère Thimothy, « l’Evangile peut renverser les murs qui séparent les Serbes des Croates ; il peut détruire la haine dans nos cœurs, transformer ses structures économiques qui rendent les pauvres toujours plus pauvres. » Un beau rêve ? « Notre société est tentée par le fatalisme, elle est portée à croire que rien ne pourra jamais vraiment changer. Il faut avoir des rêves impossibles et les partager. Comme dans la chanson qui dit que si l’on est deux à rêver de la même chose, on donne naissance à une nouvelle réalité.»

§Thimothy Radcliffe, Maître de l’Ordre des prêcheurs, entretiens avec Guillaume Goubert : Je vous appelle amis, éd. La Croix/Cerf