A Genève, le Centre Camarada offre un accueil sur mesure aux exilées

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A Genève, le Centre Camarada offre un accueil sur mesure aux exilées

27 février 2001
« Quand je suis arrivée, j’avais beaucoup de souffrance à l’intérieur… » A Genève, le Centre Camarada aide les exilées à reprendre une vie sociale après le traumatisme du déracinement
Exclusivement réservé aux femmes, il fait à la fois office d’école, de centre de rencontre et d’atelier. Depuis onze ans, il a permis aux migrantes d’une quarantaine de pays de faire leurs premiers pas vers l’intégration en prenant part aux activités qu’il propose.Maria se tient en retrait, immobile sur le pas de la porte. Les bras croisés sur la poitrine, elle observe sa fille de cinq ans qui s’amuse avec d’autres bambins dans l’«espace enfants», confié à la vigilance d’une jeune animatrice. Absorbée par son jeu, la petite ne prête pas la moindre attention à sa mère. Maria sourit. «Je peux la laisser ici pendant les cours, comme ça je suis tranquille», articule-t-elle. Maria est espagnole. Après seulement quelques mois à Genève et quelques semaines à Camarada, elle s’exprime déjà bien en français. Son passage au Centre sera probablement de courte durée car la jeune femme avait uniquement besoin d’un tremplin - quelques notions de français notamment- pour organiser sereinement sa nouvelle vie en Suisse.

Pour celles qui viennent d’Erythrée, du Sri-Lanka ou du Kosovo, la phase d’adaptation est souvent plus longue. La découverte d’une autre culture et l’apprentissage d’une langue totalement différente de la leur, exigent un effort de longue haleine.

§Une étape et un coconIdéalement, le passage par Camarada ne devrait être qu’une étape dans le parcours des femmes, mais aucune limite n’est imposée et elles peuvent y rester aussi longtemps qu’elles le souhaitent. Certaines anciennes ont du mal à «couper le cordon» et reviennent régulièrement pour participer à l’une ou l’autre des activités du Centre.

Dans la salle principale, les femmes prennent le thé. Il est 10 h 30, l’heure de la pause. Des groupes se sont formés, rassemblant souvent les représentantes d’une même ethnie. Les rires et les plaisanteries fusent. Indifférente au joyeux brouhaha des conversations, une femme d’une cinquantaine d’années est assise près de la fenêtre. Elle essuie furtivement ses yeux rougis. Deux amies l’entourent en silence. La solidarité qui lie les femmes à Camarada est précieuse lorsque les nouvelles du pays sont mauvaises ou que l’une d’elles doit surmonter une épreuve personnelle.

Les élèves du cours de français avancé rejoignent leur classe au rez-de-chaussée. Elles sont une quinzaine. Les accents se mélangent, les couleurs de peau varient. «Comment est l’huile?», demande Rachel, l’enseignante. «Trans-pa-rente», répond une jeune Marocaine en détachant les syllabes de ce mot difficile.

Parmi les élèves, Esma se montre particulièrement attentive. Elle est arrivée du Kosovo il y a deux ans, avec son mari et ses trois enfants. «Avant, je restais enfermée à la maison toute la journée. J’ai dit à l’assistante sociale que je voulais apprendre le français, et elle m’a dit de venir ici, à Camarada. Quand je suis arrivée, j’avais beaucoup de souffrance à l’intérieur», dit-elle, les deux mains posées sur son coeur, «j’aurais voulu parler à quelqu’un mais je ne savais pas la langue.» Les premiers mois de cours n’ont pas étanché sa soif d’apprendre. Aujourd’hui Esma souhaite améliorer sa connaissance du français, notamment par le biais du cours d’informatique mis en place avec la collaboration de Voie-F, un organisme spécialisé dans la réinsertion socioprofessionnelle des femmes. «Mon fils est en première primaire. Il me demande de l’aider, mais souvent, je ne peux pas», déplore Esma. A l’avenir, elle aimerait obtenir un permis de travail. «Même si nous ne pouvons pas rester et si nous devons repartir au Kosovo, je veux continuer à étudier. Ici je peux le faire, là-bas ce n’est pas facile», conclut-elle.

§Soif d'apprendreEgalement élève du cours avancé, Nouria a réussi un parcours exemplaire à Camarada. A son arrivée il y a un an et demi, cette jeune Erythréenne ne savait ni lire ni écrire. Après avoir suivi les leçons d’alphabétisation, elle a poursuivi sa formation en assistant aux cours des niveaux supérieurs. Ses efforts lui ont permis de trouver un emploi et de devenir autonome. «Le soir, je travaille dans une entreprise de nettoyage, mais je viens encore ici la journée pour progresser en français», précise-t-elle.

A 11 h 20, les cours se terminent. Les élèvent ferment leurs cahiers et s’attardent quelques minutes pour discuter entre elles ou pour échanger quelques mots avec leur enseignante. Les landaus qui encombrent le vestibule disparaissent les uns après les autres, laissant la pièce vide et étrangement calme.

§Intégrer les nouvellesAu premier étage, les six membres de l’équipe d’encadrement s’apprêtent à prendre un repas en commun. Après l’agitation de la matinée, le répit est bienvenu. Simone, l’une des «profs» de français, a fait la cuisine pour tout le monde. A table, on fait rapidement le bilan des derniers événements: «Il y a énormément de nouvelles depuis quelques temps. Si ça continue, on va avoir du mal à les intégrer aux groupes», fait remarquer Simone. Anne, qui s’occupe de l’administration, partage son avis. La décision est prise: à partir de maintenant, les femmes qui s’inscrivent viendront seulement à partir de Pâques.

§Activités valorisantesAu début de l’après-midi, les salles de classe se métamorphosent en ateliers de couture et de sérigraphie. Les participantes sont moins nombreuses et l’ambiance est plus feutrée que le matin. Dans le cadre de ces ateliers, les femmes peuvent effectuer des travaux rémunérés: repassage, retouches ou confection d’objets qui seront exposés sur le stand de Camarada au cours des ventes d’artisanat qui ont lieu durant l’année. Ces activités qui font appel à la créativité et au savoir-faire, sont très valorisantes pour les femmes du Centre.

Senela est bosniaque. Elle n’a pas le temps de venir le matin pour les cours de français. En revanche, la sérigraphie n’a plus de secrets pour elle. Aujourd’hui, elle illustre une recette de cuisine imprimée sur du papier cartonné avec un motif représentant des oiseaux. «Senela est rapide et précise dans son travail. Cela fait déjà cinq ans qu’elle vient à l’atelier», déclare Anne, la responsable de l’atelier de sérigraphie.

La ruche bourdonnante du matin a fait place à un îlot de tranquillité. Lieu de rencontres et de mouvement, Camarada a aussi ses respirations, ses temps de repos. Quand on referme la porte sur ce petit monde silencieux pour retrouver la rue froide et grise, on a l’impression d’abandonner un cocon rassurant.







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