«La destruction massive de la terre est effrayante»

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«La destruction massive de la terre est effrayante»

31 janvier 2001
Biologiste de renom, président de l’Institut Européen d’Ecologie à Metz, Jean-Marie Pelt était l'invité lundi dernier de l’Aumônerie de l’Université de Lausanne pour une conférence sur l’état de la planète, une thématique abordée dans son dernier livre: La Terre en héritage
Entretien avec un scientifique croyant, mais pas moralisateur. §Jean-Marie Pelt, vous êtes catholique. Les statuts de croyant et de scientifique sont-ils parfois difficiles à concilier?Non, cela ne m’a jamais paru difficile de concilier les deux, probablement parce que j’ai eu la chance de fréquenter des gens très ouverts, qui faisaient se dissoudre les apparentes contradictions. Pour un biologiste, il est difficile de dire comme monsieur Bush que la Terre s’est faite en six jours et de prendre le récit de la Genèse au pied de la lettre... Mais il y a longtemps déjà que j’ai résolu toutes ces questions. La foi occupe un domaine qui me paraît très important et sur lequel la science n’empiète en aucune manière. D’ailleurs, la physique quantique a provoqué une formidable révolution au cours de ce siècle en disant que l’on ne perçoit que le réel perceptible avec nos engins et nos sens, mais qu’il y a toute une partie du réel qui nous échappe. Il reste donc d’innombrables points d’interrogation.

§Diriez-vous que science et foi sont complémentaires?Oui. J’ai eu des enthousiasmes scientifiques extraordinaires! Durant une période de ma vie qui a duré quatre ou cinq ans, je croyais si fort à la science, j’avais une telle confiance dans l’efficacité des méthodes scientifiques que je pensais qu’un jour, on pourrait démontrer l’existence de Dieu. Aujourd’hui je vois les choses différemment, je crois que la science a son domaine à elle, qui est de comprendre les réalités plus que les vérités, et de remettre en cause ses découvertes. Je trouve d’ailleurs qu’il serait bon que les Eglises aussi se remettent en cause, tout comme les scientifiques, et ne nous assènent pas des «vérités éternelles» qui n’en sont pas!

§Dans votre livre, «La Terre en héritage», vous dites que l’homme a le droit de profiter des bienfaits de la nature, mais pas de disposer d’elle à sa guise.Oui, c’est une notion que l’on trouve aussi dans le Coran, où il est dit que l’homme est le lieutenant d’Allah sur la Terre. Le lieutenant est «celui qui tient lieu de», c’est-à-dire le remplaçant. Dans la Bible, on trouve l’idée du jardin. Je trouve que c’est très beau de percevoir les hommes comme les jardiniers de la Terre. En réalité, nous sommes plutôt les exploitants et même les exploiteurs de la planète que l’on ravage cruellement et que l’on va laisser en très mauvais état. Pas tellement à Metz ou à Lausanne, mais à Madagascar, en Haïti, en Indonésie et dans les pays du Sud en général. La destruction massive de la Terre est quelque chose de tout à fait effrayant. Et cela va très vite.

§Vous êtes opposé à l’ultralibéralisme et vous plébiscitez les notions de partage ou de solidarité qui font partie des valeurs chrétiennes. Cela signifie-t-il que les valeurs chrétiennes ont de l’avenir?Je l’espère bien! Ou les valeurs chrétiennes ont de l’avenir, ou bien le monde n’a pas beaucoup d’avenir! Je crois fermement que l’on retrouvera ces valeurs, même si elles sont pour l’instant enterrées sous l’énorme «moi-je» du libéralisme. Je pense qu’en ce moment, nous nous trouvons dans un passage obligé. L’humanité fait une très vigoureuse crise d’adolescence et s’oppose à tout ce qui la dépasse et qui pourrait prendre l’allure d’un père. Les hommes veulent se libérer de la tutelle d’un Père, dont on leur a souvent dit d’ailleurs qu’il était méchant, sévère et impitoyable. C’est plutôt bien que cette image de Dieu soit tombées aux oubliettes. On pourra la remplacer par l’image d’un Dieu affectueusement miséricordieux, plein de tendresse, tel que je l’imagine.

§Dans votre livre vous montrez que la planète est gravement polluée, mais vous dites aussi que la situation n’est pas totalement désespérée.Tout va véritablement dépendre de la génération qui vient. C’est tout de suite qu’il faut réagir, et je dis bien tout de suite. Pas dans trente ans, car à ce moment, il n’y aura plus de forêt tropicale, Madagascar sera un désert et on aura vraiment tout cassé. Mais si on a un sursaut maintenant, en raison du changement de millénaire ou parce que les jeunes générations sont plus sensibilisées que les anciennes à ce type de problèmes, ou encore grâce à la montée en puissance des femmes dans la société, plus sensibles que les hommes à l’écologie et à la sauvegarde de la vie en général, je pense que l’on peut encore faire quelque chose.

§S’occuper de la nature, c’est un beau programme pour les jeunes.Oui. On ne peut pas leur proposer comme seul avenir de faire des start-up et de devenir riches! Premièrement parce qu’ils ne deviennent pas riches avec les start-up qui font faillite les unes après les autres. Et deuxièmement, même s’ils devenaient riches, ils ne seraient pas plus heureux. Donc, c’est deux fois faux. L’idéal ultralibéral à l’américaine ne débouche sur rien.

§Avez-vous l’impression que la nouvelle génération se sent concernée par la sauvegarde de la planète?C’est difficile à dire. On sent que les petits qui sont en maternelle et en primaire sont très concernés. Mais les jeunes, eux, sont happés par l’univers omniprésent des technologies qui occulte tout le reste. Cela dit, je pense qu’il s’agit seulement d’une phase d’adaptation qui ne durera pas éternellement. Le bonheur, ce n’est pas non plus de surfer sur Internet. Il faut se souvenir que nous sommes totalement dépendants de la nature. Si elle disparaît, l’humanité ne résistera pas plus de quinze jours. Par contre, si du jour au lendemain on se retrouve sans télévision, sans ordinateur et sans téléphone portable, on n’en mourra pas. Quel que soit le traumatisme, notre survie n’est pas en cause. Donc la vraie dépendance est la dépendance à la nature, c’est elle la vraie priorité.

§Propos recueillis par Sandra Moro/Protestinfo§Jean-Marie Pelt, La Terre en héritage, Fayard, 2000