Palestine, Balkans: au péril de leur vie, les "Femmes en noir" s'interposent entre les belligérants

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Palestine, Balkans: au péril de leur vie, les "Femmes en noir" s'interposent entre les belligérants

19 janvier 2001
Les femmes sont-elles des victimes passives de la violence en temps de guerre, se contentant d'enterrer les morts et de protéger les enfants? Le colloque qui se tiendra les 23 et 24 janvier prochains à l'Institut universitaire d'études du développement (IUED) de Genève montrera qu'il faut se garder de prendre cette image souvent transmise par les médias pour une généralité
Au Proche Orient, en ex-Yougoslavie ou en Afrique, des réseaux de femmes s'organisent pour enrayer l'escalade militaire, panser les plaies et lutter contre les mentalités nationalistes et belliqueuses, souvent au péril de leur vie."J'en avais assez de voir des photos de femmes en larmes à côté d'un soldat brandissant une mitraillette, et de lire des dizaines d'jos_content sur le viol". Auteure d'une récente recherche soutenue par la Fondation suisse pour la paix sur le rôle des femmes dans la guerre des Balkans, la bernoise Patricia Barandun avoue son agacement face aux photos publiées par la presse pendant le conflit: "Le cliché de la femme en tant que victime passive de la guerre est faux. Il existe des réseaux de femmes qui s'engagent au service de la paix et de la réconciliation, au péril de leur vie". Parmi elles, les "Femmes en noir" en ex-Yougoslavie et en Israël, "Bat Shalom"en Israël, "Mères de soldats" en Russie. Elles sont à l'origine d'initiatives humanitaires et de défense des droits de l'homme contribuant à la réconciliation nationale et à la paix. L'Institut Universitaire d'Etudes du Développement (IUED) à Genève relatera leur action dans un colloque intitulé "Hommes armés, femmes aguerries: rapports de genre en situation de conflit armé", les 23 et 24 janvier prochains (voir encadré), à travers notamment le témoignage direct de femmes militantes.

§Femmes engagéesSur le terrain, leur activité se déploie de deux manières. Elles visitent des camps de réfugiés, distribuent des soins médicaux, soignent les traumatismes de la guerre, dont le viol. Outre ces initiatives humanitaires, elles conduisent une action politique qui leur attire la haine des nationalistes de tous bords et la répression des gouvernements autoritaires. Les "Femmes en noir" d'ex-Yougoslavie n'ont par exemple pas hésité à appeler les hommes à déserter l'armée et à les aider concrètement à fuir leurs obligations militaires. Pendant toute la durée de la guerre des Balkans, elles ont été en mesure d'organiser plusieurs manifestations pacifistes à Belgrade et de tenir chaque année leur congrès à Novi Sad (Vojvodine).

S'organisant sans tenir compte de l'appartenance ethnique – les membres des "Femmes en noir sont Serbes, Croates, Kosovares, Bosniaques –, elles administrent la preuve que l'antagonisme ethnique est une invention politique. Aujourd'hui, elles concentrent leur action sur le sud de la Serbie où des Albanais ont fondé une armée de libération qui risque de provoquer un nouveau conflit entre la Serbie et le Kosovo voisin. A travers une action éducative auprès des jeunes de la région, elles tentent de les dissuader de recourir aux armes.

Au plan du courage, les "Femmes en noir" israéliennes et palestiniennes – dont une représentante interviendra durant le colloque - ne le cèdent en rien à leurs homologues balkaniques. En effet, elles n'hésitent pas à s'interposer physiquement entre l'armée israélienne et les manifestants palestiniens qui s'en prennent aux postes de contrôle bordant les territoires occupés. Militant pour la restitution des territoires occupés à la population arabe, elles se sont exposées à la vindicte de beaucoup d'israéliens parmi lesquels des hommes politiques influents, tel Ariel Sharon qui pourrait accéder au pouvoir aux prochaines élections et prendre des mesures drastiques à leur encontre.

§Ascension socialePlus largement, le colloque s'intéressera à la modification du rôle de la femme au moment d'un conflit armé. Car inévitablement, les hommes au combat sont remplacés dans la sphère domestique et professionnelle par les femmes qui accèdent tout d'un coup à des fonctions et des responsabilités qu'elles n'avaient pas jusqu'alors. Devenues les moteurs de la société civile, elles aspirent logiquement à conserver une part de ces nouvelles prérogatives à la fin du conflit. Reste que les hommes ne l'entendent pas de cette oreille: "Pendant la guerre d'Algérie, les femmes ont pris de l'importance, explique

Fenneke Reysoo, organisatrice du colloque. A l'indépendance en 1962, elles ont été remises à leur place antérieure. A l'inverse, au Rwanda, tellement d'hommes ont péri dans le génocide de 1994 que la propriété des terres a été transférée aux femmes.

§Signes précurseursLe colloque connaîtra un moment fort avec Susanne Schmeidl de la Fondation suisse pour la paix, dont l'intervention portera sur la détection des signes avant-coureurs d'un conflit. En effet, d'après de récentes études, il apparaît qu'une recrudescence de la violence domestique, entre autres, préfigure un état de guerre. S'ils sont pris en compte suffisamment tôt, de tels signaux d'alerte pourraient donner lieu à des stratégies d'apaisement des tensions capables, le cas échéant, d'enrayer la logique d'affrontement.