La psychologie de la religion peut-elle expliquer Dieu?

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La psychologie de la religion peut-elle expliquer Dieu?

14 juillet 2000
On a tendance aujourd'hui à tout expliquer par la psychologie
Si cette discipline cherche à comprendre la relation de l'homme à Dieu, elle n'a aucune prise sur le divin et toute approche psychologique de la personnalité de Jésus ne peut qu'être réductrice et fantaisiste. Nommé récemment professeur aux universités de Lausanne et Genève, Pierre-Yves Brandt enseigne cette discipline qui cherche à comprendre comment l'homme réagit face à ce qui le dépasse. Interview.§- A quoi sert la psychologie de la religion?La psychologie de la religion cherche à comprendre comment l'être humain se comporte lorsqu’il se situe en relation avec le divin, et avec ce qui, par définition, le dépasse. Ainsi elle va s’intéresser à la manière dont l’affectif est impliqué quand le partenaire de la relation est Dieu, à la façon dont l’être humain se représente les forces qui lui échappent, comment il cherche à parler de l'inconnu à travers de ce qu'il connaît, comment il modifie ses conceptions pour intégrer la nouveauté.

§- La psychologie a-t-elle prise sur la part qu'on attribue au divin?Aucune. Son champ d’étude se limite à la part humaine dans la relation au divin. Dans cette perspective, elle peut s’intéresser à des sujets aussi divers: révélation, vocation, conversion, expériences hors du commun, dépendance à une idéologie et à un maître, altération de la conscience. L'observation des phénomènes touchant aux sectes fait aussi partie de la discipline.

On peut bien sûr approcher la relation au divin à partir d'autres points de vue, sociologique, culturel, historique ou géographique. La psychologie, elle, part de la connaissance que l’on a du psychisme humain pour observer dans quelle mesure ce que l'on connaît du comportement humain se retrouve dans la relation au religieux et repérer s’il y a des conduites qu'on ne retrouve nulle part ailleurs.

§- On a tendance aujourd'hui à tout expliquer par une approche psychologique, même les Ecritures, n'est-ce pas hasardeux et réducteur?Tout être humain est confronté à des observations pour lesquelles il n'a pas d'explication et qu'il ne sait pas interpréter. Cela peut engendrer une crise qui oblige à modifier la représentation que l’on a de soi, du monde, de Dieu. La manière de surmonter une crise est un thème étudié en psychologie. Le psychologue peut utiliser les travaux produits dans ce domaine pour proposer des interprétations des processus par lesquels un être humain tente de surmonter la crise que provoque la rencontre avec Dieu ou avec tout ce qui lui paraît inaccessible. On peut observer dans une telle situation des comportements qui s’apparentent aux processus mentaux pour intégrer une contradiction et la dépasser.

§- Une approche purement psychologique du phénomène religieux et des comportements qu'il induit est singulièrement réductrice.Une part insaisissable, qui échappe aux lois psychologiques et au domaine du prévisible, est fondamentalement constitutive de l'être humain, que son psychisme ne détermine pas entièrement. On a spontanément tendance à projeter un certain nombre de catégories qu'on a faites siennes pour expliquer les phénomènes qui nous échappent. Se contenter de plaquer des concepts freudiens ou jungiens sur des textes bibliques, les appauvrissent et ne leur laisse aucune chance de se révéler pleinement. Cela peut être une défense pour éviter de se laisser travailler par eux, qui prend la forme d’un colonialisme intellectuel. On risque alors de n’obtenir qu’une schématisation qui transforme le texte en allégorie.

§- Certains tentent un portrait psychologique de Jésus, est-ce crédible?Les documents qui nous parlent de Jésus ne nous donnent pas les renseignements nécessaires dont nous aurions besoin pour en déduire la psychologie de Jésus. De même qu'ils ne nous donnent pas de descriptions sur son apparence physique. Etait-il élancé ou trapu? Avait-il des cheveux raides ou bouclés, nous n'en savons rien. Nous ne savons pas plus s'il était introverti ou extraverti, s'il avait un esprit plutôt tourné vers l'analyse ou la synthèse. Cela vient du fait que les Evangiles ont pour but de nous transmettre un message et non de nous décrire le personnage de Jésus. Dans cette perspective, la façon de nous présenter Jésus est stéréotypée. Les Evangiles insistent par exemple sur les traits communs entre Jésus et Moïse pour souligner que le Christ s'inscrit dans le prolongement de la tradition de son peuple. Par contre, une approche psychologique de la manière dont les Evangiles présentent le personnage de Jésus nous donne des indications sur la façon dont on faisait le portrait type d'un personnage important, plus particulièrement un envoyé de Dieu; elle nous révèle quelle conception on avait de la personnalité individuelle à l'époque du Christ. Cette conception était très éloignée de l’individualisme occidental contemporain. Si l’on ne tient pas compte de l’écart entre notre vision de l’être humain et la vision que l’on en avait au premier siècle de notre ère, on risque de ne trouver dans le texte que l’expression de nos propres projections et de nos identifications spontanées.