Monseigneur Ndungane: "La Suisse doit soutenir les victimes de l'apartheid"

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Monseigneur Ndungane: "La Suisse doit soutenir les victimes de l'apartheid"

10 mai 2000
En visite dans notre pays jusqu'au 11 mai, l'évêque sud-africain Njongonkulu Ndungane, successeur de Desmond Tutu, a donné mercredi 10 mai à Genève une conférence de presse où il a appelé la Suisse à s'engager en faveur de l'annulation de la dette héritée du régime d'apartheid – 26 milliards de dollars - et le versement de réparations aux victimes
"Si l'on ne fait rien, la situation en Afrique du Sud risque de dégénérer comme au Zimbabwe".Depuis le début de sa visite officielle en Suisse le 7 mai, l'évêque sud-africain Ndungane, successeur de Desmond Tutu à la tête de l'archevêché du Cap, a multiplié les rencontres avec les autorités politiques et ecclésiastiques de notre pays pour les sensibiliser au problème de la dette extérieure léguée par le régime d'apartheid, qui s'élève à 26 milliards de dollars. Les intérêts de cette dette représente le deuxième poste de dépenses au budget national. Cette charge financière énorme empêche nombre d'investissements vitaux dans les domaines de la santé, de l'éducation et du logement: "Cette dette odieuse contractée par un régime criminel a un effet paralysant sur l'économie, a rappelé Ngr Dungane lors de sa conférence de presse du mercredi 10 mai à Genève. Le revenu de 40% des familles noires les plus pauvres a chuté de 21% en 5 ans. Si nous ne parvenons pas à remédier à tant d'inégalités, nous risquons de tomber dans la même spirale de violence que le Zimbabwe". Reçu mardi à Berne par Joseph Deiss, Mgr Ndungane lui a demandé de soutenir le mouvement "Jubilé 2000-Afrique du Sud" pour l'annulation de la dette de l'Afrique australe et le versement de réparations aux victimes de l'apartheid. Le Conseiller fédéral a promis d'examiner point par point les arguments de son interlocuteur et de donner une réponse en temps voulu. "C'est très positif, a estimé Mgr Ndungane, mais nous ne pouvons pas attendre 50 ans comme les victimes de l'holocauste".

§La Suisse en causePour l'évêque sud-africain, la Suisse porte un effet une responsabilité particulière dans le marasme économique actuel, notamment ses banques qui ont prêté plusieurs milliards au régime d'apartheid: "Entre 1985 et 1989, quatorze grandes banques d'Allemagne, de Suisse, du Royaume-Uni, des Etats-Unis et de France, ont procédé à trois rééchelonnements de la dette sans y poser de conditions en termes de droits de l'homme ou de démocratie. Le négociateur fut Fritz Leutwiler, l'ancien président de la Banque nationale suisse". Au lieu d'améliorer le sort des Noirs, cet argent venu d'Occident a servi à renforcer la dictature et les mesures de déstabilisations menées par le régime vis-à-vis des pays voisins. Mgr Ndungane chiffre à 78 milliards de dollars le coût total des destructions causés par l'apartheid : "Les compagnies étrangères qui ont investi pendant 45 ans en Afrique du Sud se sont enrichies. Aujourd'hui, elles doivent faire acte de réparations et rendre justice aux victimes".

Sur cette base, l'évêque demande l'annulation de toute la dette restante et le paiement de compensations équivalant au capital et aux intérêts de la dette payée par le gouvernement de l'apartheid entre 1948 et sa chute en 1993. Concrètement, il appelle les gouvernements et les entreprises suisses, allemandes, américaines et anglaises – les principaux créanciers de l'apartheid - à favoriser la reconstruction du pays en accroissant leur aide au développement. D'autre part, il a plaidé pour le versement d'indemnités aux familles des victimes de la répression policière: "Les veuves, les orphelins, les handicapés, doivent obtenir de quoi vivre, alors que, dans le même temps, les anciens oppresseurs ont conservé leurs privilèges". Cette question des réparations financières devait être au centre d'un débat public entre l'évêque sud-africain et des représentants des entreprises suisses, mais tous ont décliné l'invitation.

§Avenir en demi-teinte Mgr Ndungane s'est aussi inquiété des difficultés que rencontre le nouveau gouvernement sud-africain à tenir ses promesses de justice et de réconciliation. Il sent que les classes défavorisées s'impatientent et pourraient opter pour la violence si leur sort tarde trop à s'améliorer et si les anciens persécuteurs bénéficient de l'impunité: "L'Afrique du Sud a un besoin urgent de capital pour surmonter l'héritage socio-économique de l'apartheid. Mais cet argent n'est rien d'autre qu'un moyen de satisfaire les besoins fondamentaux de notre population en nourriture, eau, logement, éducation, santé".