"La violence est le produit d'un système éducatif"

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"La violence est le produit d'un système éducatif"

10 mai 2000
§- Quel événement vous a rendu sensible à la question de la non-violence?A 8 ans, mes parents ont déménagé à Détroit, c'était dans les années 1940
Or, il s'est produit dans cette ville l'une des pires émeutes raciales de l'histoire des Etats-Unis. Il y eut 30 morts rien que dans mon quartier. J'ai découvert pour la première fois que la couleur de la peau pouvait engendrer la violence. Ensuite, à l'école, et j'ai constaté que mon nom à consonance juive engendrait chez certains des envies de violence. A l'inverse, j'ai vu des exemples incroyables de bonté. Ma grand-mère, qui était très pauvre, hébergeait des sans logis. Quand elle était paralysée, mon oncle s'en est occupé avec joie et amour. Et moi j'étais stupéfait par ce paradoxe: l'être humain est capable du sublime comme du pire.

§- Vos études de psychologie à l'Université, était-ce dans l'optique de trouver des réponses?Oui, bien sûr. Et ce que l'on y enseignait ne me convenait pas. On voyait la violence comme une maladie mentale. Je trouvais ça extrêmement réducteur. Je sentais bien que la structure sociale faisait aussi partie du problème, et que la violence découlait de l'enseignement reçu à l'école, l'Université, l'armée, et même parfois à l'Eglise. Autant de lieux où l'on apprend que l'autorité a forcément raison, où l'on juge moralement et adopte un langage bureaucratique. J'ai vite compris que la violence n'était pas une pathologie, mais le produit d'un système éducatif nocif.

§- Au lieu de soigner les gens comme s'ils étaient malades, vous les avez éduqués?Exactement. Je suis parti du principe que si les gens étaient dépressifs, c'est parce qu'ils avaient été éduqués d'une manière erronée. Et j'obtenais des résultats intéressants. Si bien qu'en 1970, j'ai fondé des communautés aux Etats-Unis et au Canada. Je voulais imiter les prêtres brésiliens qui éduquaient les paysans, leur donnaient une conscience politique, et surtout les moyens d'enseigner à d'autres paysans. Au Brésil, cet effet boule de neige a permis d'éduquer des millions de gens.

§- Et par ce moyen, vous êtes parvenu à propager vos idées aux quatre coins du globe?Effectivement. Des personnes que j'ai formées sont parties enseigner à l'étranger. Nous avons ainsi pu fonder un réseau d'écoles à travers le monde où l'on communique de façon non violente. En Israël, nos écoles mélangent élèves juifs et arabes, en Croatie, Serbes et les Croates.

§- Et la Suisse dans votre parcours?-Une Suissesse rencontrée aux Etats-Unis a apprécié mon travail et l'a fait connaître autour d'elle. A ma grande surprise, j'ai reçu de l'argent de la part de personnes privées et de grandes entreprises. Si bien que je me suis établi à Reigoldswil, dans le canton de Bâle, et qu'une bonne part de mon travail a maintenant lieu ici. La Suisse a été très généreuse à mon égard. Et la nature y est tellement belle. La forêt et la montagne, voilà mon église.

§- Vous animez souvent des séminaires de communication non violente pour des cadres d'entreprises suisses. Comment réagissent-ils?Au début, ils sont sceptiques. Ils disent qu'il est impossible de montrer ses sentiments au travail, parce que l'entreprise ne serait plus concurrentielle et que les collègues se moqueraient. Je les écoute longuement et finis par leur dire: "D'accord. Mais dans vos foyers, avec votre épouse, vos enfants, n'y a-t-il pas une place pour montrer vos sentiments? Je sais que vos femmes souffrent de ne jamais voir vos sentiments". A ces mots, une chose incroyable s'est produite lors d'un récent séminaire que j'ai donné à Thoune. Un chef d'entreprise s'est tourné vers sa femme, lui a dit qu'il l'aimait et s'est mis à pleurer. Trente secondes plus tard, huit sur quinze étaient en larmes. Un seul d'entre eux a quitté la salle, apparemment scandalisé par ce qui se passait. Je l'ai retrouvé à la fin de la séance dans le couloir. Il m'a demandé s'il pouvait suivre mon séminaire du lendemain à Zurich. "Ca fait 20 ans que j'attends ça" m'a-t-il confié.

§- C'est tout de même très risqué de montrer ses sentiments au travail.- Oui. Si on décide de montrer ses sentiments, il faut être prêt à en affronter les conséquences. D'où la technique que j'enseigne et qui permet de faire face aux réactions hostiles. Il m'est une fois arrivé de pleurer au travail. Un de mes collègues a détourné la tête d'un air agacé. Je lui ai demandé: "Est-ce que je te dégoûte? Crois-tu qu'il soit défendu de pleurer au travail?" Il m'a répondu: "Non, ça me fait penser à ma femme qui aimerait me voir pleurer de temps en temps. Elle a l'impression de vivre avec un roc".

§- Derrière votre pratique, y a-t-il des références religieuses?- Je n'ai pas une éducation chrétienne très approfondie. Elle me vient surtout de ma grand-mère qui hébergeait des sans domicile fixe. L'un d'eux est même resté sept ans chez elle. Il se faisait appeler le Seigneur Jésus, était habillé en lambeaux et avait l'air d'un fou. Même quand un personnage pareil se présente à la porte, on l'accueille, l'héberge, le nourrit, le soigne. Voilà ma théologie.



§Marshall Rosenberg, Les mots sont des fenêtres (ou des murs), Introduction à la communication non violente, Ed .Jouvence, 235 p.Pour commander des documents, cassettes et informations sur les séminaires donnés en Suisse par Marshall Rosenberg, s'adresser à Barbara Kunz, Center for Nonviolent Communication, Postfach 232, 4418 Reigoldswil, tel 061 941 20 60, fax 061 941 20 79, e-mail Orchidea@dplanet.ch

Les six formateurs romands à la communication non violente donnent régulièrement des séminaires tous publics. Pour obtenir le programme, s'adresser à l'Association suisse des formatrices et formateurs en communication non violente, chemin de la Goutte d'or 6, 2014 Bôle, tel-fax 032 842 30 20 (entre 8h et 9h). e-mail: cnvsuisse@hotmail.com (743 signes)