Entre ciel et terre: la mémoire des disparus

Homme de paix convaincu, Andrew Stallybrass a dédié sa vie à Caux-Initiatives et changement. Cet originaire de Liverpool perçoit dans la représentation du songe de Jacob la proximité de l’autre monde, celui des êtres chers qui continuent de nous accompagner au-delà de la mort.
Bio express
Andrew Stallybrass

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Né en 1948 à Liverpool, Andrew Stallybrass a grandi en Angleterre. Au début des années 1980, il vient s’installer en Suisse alors qu’il fait partie du Réarmement moral depuis plusieurs années, un mouvement pour lequel il travaillera jusqu’à sa retraite en 2017. 

Avec son épouse Éliane, Andrew Stallybrass a vécu à Genève de 1984 à 2014, où il s’est profondément engagé dans l’Eglise protestante. Vice-président de la Plateforme interreligieuse, il effectue également un certificat de spécialisation en théologie à l’Université de Genève, à la fin des années 1990. 

Depuis 2014, le couple habite à Caux. Andrew Stallybrass prêche comme prédicateur laïc dans la paroisse de Montreux et nourrit sa passion pour l’histoire en réalisant, entre autres, un catalogue de toutes les œuvres d’art présentes au Centre de Caux.

«Mes expériences de vie les plus puissantes, celles où je me suis senti le plus vivant et le plus proche des autres et de Dieu, ont été des temps de mort.» Lorsqu’Andrew Stallybrass pénètre dans la petite chapelle de Caux sur Montreux, ses yeux se posent instantanément sur un grand vitrail dans la nef de l’édifice. 

Le songe de Jacob, réalisé dans les ateliers de MM Arthur-L. Moore et fils à Londres en 1906, pour la chapelle de Caux sur Montreux © Aurore Dolfus / Réformés.ch

L’œuvre représente Jacob endormi au pied d’un grand escalier surplombé par une nuée d’anges. «C’est le lien entre ciel et terre qui me touche particulièrement dans cette œuvre.» Et des souvenirs de proches décédés, telle la multitude des verres chatoyants, viennent illuminer son visage. «J’ai redécouvert la puissance de ce vitrail après la mort d’une amie très chère. Je me tenais près de l’autel. Il y avait du soleil, les couleurs étaient éclatantes. Soudain, j’ai ressenti cette proximité des disparus. D’ailleurs, cet ouvrage ne représente pas une échelle difficile à gravir comme dans le texte biblique, mais un escalier, tel un grand boulevard aisément franchissable».

Avec son doux accent anglais, le septuagénaire originaire de Liverpool en vient à évoquer la mort de sa mère. Pendant plusieurs jours, il l’a veillée avec son frère cadet. «Mon frère, qui est athée, nous a donné un tel amour à travers sa présence et ses gestes, pendant ces instants, que j’ai vraiment eu le sentiment que si Dieu existe, il se fiche des étiquettes qu’on se donne à soi-même ou dont les autres nous affublent. Cela m’a libéré, j’espère à jamais, du devoir chrétien d’encourager les autres à suivre le même parcours que moi.» 

Le virus de la réconciliation

Depuis plus de cinquante ans, Andrew Stallybrass œuvre inlassablement pour la paix en travaillant au sein du Réarmement moral, renommé Caux-Initiatives et changement. Il a notamment fait partie des organisateurs des conférences estivales à Caux et a dirigé la petite maison d’édition en lien avec l'institution. Ce mouvement, créé en 1946 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, n’a cessé de promouvoir le dialogue pacifique pour lutter contre les conflits et permettre la réconciliation. «En 1967, je suis venu pour la première fois au centre à Caux avec mes parents et j’ai attrapé le virus!». 

Une prise de conscience liée également à la violence qu’il a vécue, jeune adulte, face aux terroristes irlandais de l’IRA. «Alors que je travaillais à Londres, j’entendais les bombes exploser depuis mon bureau. Elles auraient pu me tuer, car elles avaient été placées dans des lieux que je fréquentais tous les jours». À cette époque, le jeune Andrew se destinait à des études de littérature et d’histoire: «J’essaie à ma manière d’être un passeur d’histoires. J’estime que l’avenir est impossible si l’on ignore d’où l’on vient. Je suis toujours stupéfait de constater à quel point, la plupart des gens ont de la peine à avoir des lectures honnêtes et dépassionnées du passé.» 

Porté par une profonde envie d’améliorer le monde, Andrew Stallybrass se considère comme féministe. Un héritage qui lui vient de sa grand-mère paternelle militante engagée, qui s’est enchainée devant la bourse de Londres revendiquant le droit de vote pour les femmes, dans les années 1910. «Elle est décédée quand j’avais douze ans. Je regrette vraiment de ne pas lui avoir posé plus de questions sur sa vie, mais quand on est enfant, on ne se rend pas compte de la valeur des histoires.»

Des histoires sur lesquelles le temps opère parfois un travail de guérison. Il évoque la reine d’Angleterre qui a effectué sa première visite d’État en Irlande, en 2011, déposant une gerbe sur le monument aux morts de la guerre anglo-irlandaise. «Rien que de mentionner que les relations ne se sont pas toujours bien passées est un premier pas. Il y a tant de situations et de pays qui attendent ce genre de geste». 

Le pouvoir des anges

Timidement, Andrew Stallybrass se rappelle une expérience quasi mystique vécue dans une période d’affliction alors qu’il était jeune adulte. «Après avoir lu le récit biblique de l’évasion de Pierre (Actes 12), j’ai eu l’étrange sentiment d’une présence dans ma chambre qui m’avait libéré de ma douleur. Si j’avais porté les bonnes lunettes, j’aurais vu un ange!». 

Semblables aux êtres qui entourent Jacob sur le vitrail, tous les êtres humains ont cette vocation d’êtres des anges les uns pour les autres. «Et s’il y a un au-delà, s’il y a un jugement, je suis certain qu’on sera plus attristé de constater les occasions manquées d’avoir pu être des anges pour les autres que d’être jugé pour nos propres mauvais comportements». Et ce n’est sûrement pas Jacob qui le contredira.