Débat autour de la laïcité à Genève

La cour de l'Hôtel de Ville de Genève où se déroulent les séances du Grand Conseil. © CC(by-sa) / Bart van Poll
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La cour de l'Hôtel de Ville de Genève où se déroulent les séances du Grand Conseil. © CC(by-sa) / Bart van Poll

Débat autour de la laïcité à Genève

1 novembre 2017
Entretien
Les travaux actuels autour de la loi genevoise sur la laïcité vont dans le mur selon un groupe de députés. La raison en est simple, le projet est motivé par un retour de la religion de la Constitution qu’il convient de corriger.

Alors que l’étude des projets de loi sur la laïcité a été renvoyée en commission, trois députés au Grand conseil genevois présentent deux modifications de la Constitution. Magali Orsini (Ensemble à gauche), Pierre Gauthier (hors parti) et Carlos Medeiros (hors parti) proposent de supprimer de la loi fondamentale la mention des relations que l’Etat doit entretenir avec les communautés religieuses et de lever les interdictions spécifiques touchant les temples antérieurs à la loi de Séparation de 1907. En clair d’autoriser les Eglises à vendre ou à changer l’affectation des temples historiques qu’elles possèdent. Ces deux textes vont être formellement déposés lors de la session de jeudi 2 et vendredi 3 novembre. Rencontre avec Magali Orsini et Pierre Gauthier.

La modification de la Constitution que vous proposez fait disparaître la mention des relations que l’Etat doit entretenir avec les communautés religieuses et par ailleurs interdit non seulement le financement d’activités cultuelles, mais de toute organisation religieuse. Une Loi sur la laïcité ne serait alors plus nécessaire. Est-ce une façon de mettre fin à ce débat?

Pierre Gauthier: Nous étudions depuis deux ans maintenant deux projets de loi sur la laïcité. Ce travail met en lumière un véritable problème qui est lié à la Constitution. L’alinéa 3 de l’article 3 de la Constitution de 2012 impose à l’Etat d’entretenir des relations avec les communautés religieuses. Et sans trahir le secret de commission, je pense pouvoir dire que de l’avis général, cela pose deux problèmes. D’abord, le terme «communauté religieuse» n’est pas défini clairement. Est-ce que trois personnes qui se regroupent pour prier représentent déjà une communauté religieuse ? Il y en a alors des centaines dans le canton. Il faut ensuite se poser la question des relations que l'Etat doit entretenir avec ces communautés. 

Aujourd’hui, il n’y a pas de problème dans les relations entre Etat et organisations religieuses. Tout est réglé par le protocole et sa loi. C’est donc un problème fabriqué de toutes pièces par les constituants. «Le Courrier» avait identifié une quinzaine de constituants qui faisaient du lobbyisme pour réinstaller les religions dans la Constituante. Ce lobby a fonctionné et aujourd’hui on se retrouve avec cet alinéa 3 qui pose plus de problèmes qu’il n’en résout. Enfin, personne n’est interdit d’avoir des relations avec l’Etat. Tout le système associatif et de représentativité permet déjà cela. Pourquoi faudrait-il mentionner spécifiquement les religions?

Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas légiférer sur la laïcité, mais en partant de cet alinéa 3, on va droit dans le mur. Si aujourd’hui la laïcité pose problème, c'est parce qu'on voit l’émergence de personnes qui sont porteuses de traditions différentes des nôtres et qu'il faut les intégrer. On pense bien-sûr à l'islam. Mais est-ce une porte d’entrée que de passer par des leaders religieux souvent plus ou moins intégristes pour représenter une communauté qui à 85% ne se rend pas à la mosquée? Différentes études sociologiques nous laissent penser que les musulmans tout les chrétiens ne se revendiquent pas forcement comme membre d'une communauté pratiquante.

Donc idéalement, pour vous, il faudrait reprendre la question de la loi sur la laïcité, une fois libérés de l’obligation de relations?

PG: Le projet de loi sur la laïcité est lancé, il va suivre son cours, on ne va pas l’arrêter. Mais un certain nombre de dispositions en seraient plus obligatoirement mentionnées.

Magali Orsini: Il est vrai que le seul motif pour présenter ce projet de loi, c’est cet alinéa 3. Pierre Maudet a regroupé un groupe de travail pour savoir quelles relations l’Etat doit entretenir avec les communautés religieuses, parce qu’il y avait cette ligne. Ce groupe de travail n’était en fait composé que de représentants de communautés religieuses. Ce groupe n'a pas vraiment répondu à la question  «qu’attendez-vous de l’Etat?». Il a préféré plancher sur une définition de la laïcité et sur la place du religieux dans la société actuelle. Donc à mon avis le fait de supprimer cette mention rend toute la démarche complètement caduque.

PG: La logique chronologique est effectivement celle-ci: puisqu’il y a un alinéa 3, on mène la réflexion qui a mené à la situation actuelle. Nous nous proposons plutôt d’organiser la laïcité plutôt que de s’intéresser uniquement aux relations entre certaines communautés et l’Etat. Il est vrai que les lois actuelles sur la laïcité à Genève sont anciennes et parfois même inapplicables. C’est d’ailleurs dans cet état d’esprit que nous avons déposé, Magali et moi en 2015, un deuxième projet de loi sur la laïcité. Celui de Pierre Maudet a en effet cette particularité incroyable d’être un projet de loi fourre-tout. On y traite de fiscalité, d’instruction publique, de sécurité du domaine public, d’aumônerie dans les prisons, etc. La loi Maudet est une sorte de mini constitution qui traite plein de choses qui sont déjà régies par d’autres lois. Pour nous cette approche est hallucinante!

Et que métriez-vous dans une loi sur la laïcité moderne?

PG: Une telle loi devrait définir clairement le cadre de la laïcité dans une république: la non-ingérence mutuelle entre les Eglises et l’Etat. Cela ne veut pas dire que l’on se méprise, que l’on s’ignore ou que l’on se combat. Il s'agit surtout de rappeler que le domaine des convictions relève de la sphère privée. Et chaque organisme de l’Etat devrait pouvoir mettre en œuvre dans son corpus législatif les dispositions qui en découle. Il est par exemple inenvisageable que les aumôniers de prison puissent être financés par l’Etat.

En revenant sur cet exemple, comment garantir le droit à la vie spirituelle des détenus, auquel la Cour européenne des droits de l’homme est attachée, si l’on ne finance pas des aumôniers? Pratiquement, seules les grandes Eglises peuvent offrir cette prestation.

PG: Personne ne va priver quiconque du droit d’avoir un contact avec un prêtre, un imam, un rabbin, mais il n’y a pas de raison que ce soit un service financé par l’Etat. Ce n’est pas normal. Ce sont aux fidèles du culte concerné de s’organiser eux-mêmes. Il ne faut toutefois pas supprimer le contrôle. Les personnes qui veulent avoir un contact avec un détenu doivent continuer à avoir l’autorisation de l’autorité, mais tout cela est déjà réglé dans la législation actuelle.

Yadh Ben Achour qui vient de recevoir un doctorat honoris causa de l’Université de Genève, estime que la laïcité passive que nous connaissons répondait aux enjeux 1905-1907. Aujourd’hui, l’Etat doit s’impliquer dans la question religieuse pour faire face aux risques de la radicalisation.

MO: Ce monsieur a presque l’air de dire que nous avons besoin de l’islam des Lumières. A mon avis, on a simplement besoin de laïcité. On a eu nos propres Lumières et on en est très satisfait. Ce monsieur a plus l’air de vouloir nous convaincre que l’islam peut apporter à la société. Il ne cherche pas à entrer dans une démarche de séparation entre religion et Etat. Je reste convaincue que la laïcité telle que nous la connaissons est une réponse adéquate aux défis actuels.

PG: Si l’on relit ce que les défenseurs des religions monothéistes disaient de laïcité en 1907, on retrouve exactement ce que dit Yadh Ben Achour. «Vous avez besoin de la spiritualité religieuse, vous avez besoin de guide». C’est comme si on était des moutons ou des brebis. Aujourd’hui en 2017, l’islam doit emprunter le même chemin que les confessions chrétiennes en 1907.

Vous proposez également de supprimer l’interdiction de vente qui touche les Eglises propriétaires d’édifices datant d’avant la séparation. De quoi s’agit-il?

PG: Historiquement ces biens ont été spoliés aux Eglises, puis donnés aux communes qui pouvaient les rendre aux paroisses. Mais il reste des scories puisque les Eglises ne sont pas libres de profiter de leur bien à titre onéreux. Or elles passent leur temps à dire qu’elles n’ont plus les moyens d'entretenir cet héritage. Nous proposons donc de réparer cette injustice en les laissant librement gérer ce patrimoine.