La société indienne peine à reconnaître les mariages interreligieux

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La société indienne peine à reconnaître les mariages interreligieux

8 mai 2018
Les couples de religions et castes différentes n’ont jamais eu la vie facile en Inde, mais depuis que le parti Bharatiya Janata est arrivé au pouvoir en 2014, les violences sont plus nombreuses. (Bhavya Dore / RNS)

Ahalya était hindoue. Sahil est musulman. Ils sont tombés amoureux suite à leur rencontre en ligne. Ils se doutaient bien qu’il auraient des ennuis avec leurs familles respectives, religion oblige. Mais ils étaient loin de se douter qu'Ahalya se ferait enlevé par ses proches. Craignant pour leur sécurité, ils ont confié leur témoignage à l'agence Religion News service mais ne souhaitent pas que leurs vrais noms apparaissent dans cet article.

Originaire du sud de l’Inde, Ahalya est arrivée à Mumbai en juillet 2017 afin de retrouver son futur mari. Elle s’est convertie à l’islam avant le mariage, au travers d’une déclaration officielle et le début des pressions a commencé. Elle a fini par poser plainte auprès de la police locale contre son père qui menaçait de la kidnapper. Des inconnus ont même attaqué la maison du couple.

En décembre, le couple faisait du shopping dans un centre commercial, et un groupe d’hommes— Sahil les soupçonne d’agir à la demande de ses beaux-parents— a embarqué Ahalya de force dans une voiture. Il a alors porté à nouveau plainte puis il est intervenu avec son avocat auprès de la Cour Suprême. Grâce à ses démarches, le couple s’est retrouvé début février et la famille semble commencer à accepter la situation.

«C’est une histoire de famille. La société ne devrait pas s’en mêler», dénonce Sahil. «Mais les leaders politiques ont créé une atmosphère qui a porté atteinte à nos vies personnelles.»

Leur témoignage ne constitue pas un cas isolé. En Inde, les couples de religions et de castes différentes subissent toujours plus systématiquement la violence, le harcèlement, l’opposition familiale et même les menaces de mort.

Une violence en progression

En février, une page Facebook appelant à la violence contre plus d’une centaine d’hommes musulmans qui avaient épousé ou fréquentaient des femmes hindoues, a été supprimée à la suite des protestations en ligne. Le même mois, Ankit Saxena, un homme hindou, a été tué à Delhi, certainement par la famille de sa petite amie musulmane. En décembre, des groupes hindous d’extrême droite ont fait irruption dans une célébration de mariage interreligieux près de Delhi. On rapporte de tels incidents régulièrement dans les différents états, y compris dans le Madhya Pradesh, le Kerala et l’Uttar Pradesh.

Les couples de religions et castes différentes n’ont jamais eu la vie facile en Inde, mais depuis que le parti Bharatiya Janata (BJP) est arrivé au pouvoir en 2014, l’atmosphère est devenue de plus en plus polarisée. Les chiffres publiés récemment par le Parlement montrent que le nombre de cas de violence interreligieuse en 2017 (822) est plus élevé qu’en 2016 (703) et 2015 (751). Cette hausse s’accompagne d’une rhétorique de plus en plus anti-musulmane.

Une société divisée

«Depuis la montée au pouvoir du BJP, on parle beaucoup de religion et de castes,» selon Rajpalsingh Shinde, un avocat de la ville de Nashik qui a permis à plus de 200 couples de religions et castes différentes de se marier. «C'est un sujet de société très sensible qui divise violemment la population.»

Shinde, un hindou qui a subi des pressions quand il a épousé une bouddhiste, affirme que les opinions anti-Dalit se sont aussi intensifiées ces dernières années. (Les Dalits sont considérés comme le groupe social le plus "inférieur". On les connait aussi sous le nom d'intouchables.) «Beaucoup de jeunes sont frustrés,» précise-t-il. «Les relations sont brisées, les gens ne peuvent s’opposer à leurs familles ou à la société, ils sont déprimés.» Parfois, ces pressions poussent certains couples interreligieux au suicide.

En Inde, La société reste encore très stratifiée: elle est toujours régie par le système des castes, particulièrement dans les campagnes. Les crimes d'honneur sont encore présent quand il est question de mariage entre personnes de religions ou de castes différentes. 

Les couples ont vraiment peur

En 2016, l'association Sairat a vu le jour. Elle soutient les couples face à ce genre de problèmes. Plus de 200 personnes ont fait appel à leurs conseils et leur service.  L'association reçoit une dizaine d’appels d’aide ou de soutien par mois, explique le coordinateur, Harshal Lohakare. «Notre travail a augmenté et les défis sont de plus en plus nombreux. Les couples ont vraiment peur.»

La même année, une affaire a passionné les médias: un homme du Kerala, KM Asokan, a signalé la disparition de sa fille Akhila. Quand cette dernière s’est présentée devant la haute cour du Kerala, elle a expliqué qu’elle avait changé son nom en Hadiya et choisi de se convertir à l’islam afin d’épouser un homme musulman. Son père a alors soutenu qu’elle avait été endoctrinée. En mai 2017, la cour a annulé le mariage et remis la garde de la fille à son père. La conversion volontaire est pourtant légale en Inde, mais cela peut entraîner des problèmes. Plus tard, le cas a été porté devant la Cour Suprême qui a supprimé l’annulation et statué que Hadiya était une adulte et que la cour n’avait pas le droit de décider de la validité de son mariage.

Le jihad de l’amour

Ce cas a ravivé le fantasme du "jihad de l’amour". Certains hindous prétendent, en effet, que les hommes musulmans séduisent des femmes hindoues pour les  convertir à l’islam. Ce terme a été largement utilisé en 2009 quand la haute cour du Kerala a ouvert une enquête pour savoir s’il y avait une campagne de conversion à grande échelle. Les rapports de police affirment que ce n’était pas le cas, mais la formule a marqué les esprits.

«Depuis 2014, on recommence à parler du jihad de l’amour», constate Pratik Sinha, co-fondateur de Altnews.in, qui se considère comme un site journalistique anti-propagande. Altnews a publié pour la première fois l’histoire de la liste Facebook répertoriant les couples hindo-musulmans le 4 février et la page a été supprimée peu après. «En cette période agitée, ce genre de liste peut être mal employé et les personnes deviennent des cibles», souligne Pratik Sinha.

Positions claires, mais peu suivies de la Cour Suprême

Plus tôt dans l’année, la Cour Suprême de l’Inde avait statué qu'en aucune manière une tierce personne ne pouvait s’immiscer dans un mariage entre deux adultes consentants. Dans le même élan elle avait aussi réprimé les khap panchayats, ces groupes communautaires qui font office d’instances judiciaires coutumières et qui se prononcent régulièrement sur la validité des mariages.

Dans un jugement précédent, en 2011, la Cour avait même recommandé que des fonctionnaires de haut rang soient suspendus et placés sous enquête s’ils ne prenaient aucune mesure contre les auteurs de crimes d’honneur. «On entend parfois parler de crimes “d’honneur” pour des personnes qui se marient entre castes ou religions différentes de leur propre volonté», peut-on lire dans l’arrêt de 2011. «Ces crimes n’ont rien d’honorable, au contraire, ce sont des meurtres barbares et honteux commis par des personnes à l’esprit féodal et qui méritent la pire des punitions. C’est la seule manière d’abolir ce genre de barbaries.»

Mais d’après Sanjoy Sachdev, président des "Love Commandos", une organisation à Delhi qui assiste les couples qui désirent se marier par amour, ces directives n’ont jamais été prises au sérieux par aucun parti majeur. «Les partis politiques n’ont rien à faire de l’amour,» selon lui. «Le BJP donne des billets d’élection (la possibilité de devenir candidat) aux leaders des khap panchayat. Le parti du Congrès dit que les khaps font partie de notre culture.»

Les Love Commandos déclarent avoir aidé des milliers de couples depuis 2010 et proposent assistance légale et protection pour ceux qui en ont besoin. Le groupe a reçu des menaces, mais Sanjoy Sachdev ne se laisse pas démonter: «Nous allons repousser la violence avec la non-violence!»

Parfois tout de même, un happy end survient: «Quand le frère de ma femme a appris pour nous, on s’est bagarré parce qu’il a dit, “que vont dire les gens?”», raconte Nitin Kasar, un homme de 22 ans venant du groupe de la caste dominante Maratha, et qui a épousé une femme d’une autre caste l’année dernière. «Nous savions que les gens auraient de la peine à accepter une union entre castes. Mais nos familles ont fini par l’accepter.»