«L’image peut être une atteinte à la liberté du lecteur»

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«L’image peut être une atteinte à la liberté du lecteur»

9 février 2018
Chronique
Notre chroniqueuse de la semaine, Suzette Sandoz, revient sur la publication du dernier dossier du Journal Réformés intitulé «Orientations sexuelles: accueillir la différence». Elle critique la pertinence du choix de l’illustration accompagnant le dossier.

La navrante saga du dernier numéro de Réformés m’a incitée à une double démarche. D’une part, essayer d’expliquer quelle avait été ma réaction – et peut-être celle de beaucoup d’autres lecteurs - devant la page 10, d’autre part, faire une réflexion générale sur la responsabilité de celui qui utilise l’image.

Vous avez décidé de consacrer un moment à la lecture du mensuel Réformés qui vient de vous parvenir. La page de couverture, fort belle avec ses oiseaux, porte en gros titre en son bas: «Orientations sexuelles, accueillir la différence». Bon! Le sujet ne vous passionne pas, en soi, car il est tellement rabâché presque tous les jours par les journaux, la télévision, la radio, les films… Vous feuilletez  néanmoins votre mensuel pour décider de ce que vous allez lire en premier et vous tombez alors –impossible de ne pas la voir– sur une immense photo d’une page 2/3. Les couleurs attirent l’œil (du blanc, du noir et du rose) et vous êtes immédiatement frappée par un homme couché en croix.

Cette posture évoque aussitôt, pour tout chrétien, celle du Christ sur la croix, soit une très grande émotion. Sur la photo, le «Christ» est noir, il y a donc un message spécial. Vous regardez de plus près. Vous remarquez alors que ce «Christ» est complètement nu et qu’on voit les poils de son pubis, ce qui est une sorte de dénaturation de toutes les scènes de crucifixion. Portant de plus près votre attention à l’homme blanc, également nu, dont vous aviez cru du coin de l’œil que c’était un pénitent, vous constatez qu’il chevauche le «Christ», pubis contre pubis. C’est peut-être une œuvre d’art, mais vous avez mal, horriblement mal, de cette sexualisation de la crucifixion.

L’image continue de vous agresser. Il faut tourner la page, pour reprendre son souffle, fermer même la revue. Comment peut-on récupérer ainsi la souffrance salvatrice du Christ pour en faire l’illustration d’une «orientation sexuelle»? Impossible de continuer à lire le journal, vous ne voulez pas risquer de retomber sur cette image qui vous a fait tellement mal.

Vous avez besoin d’une petite explication. Vous allez alors sur le site de Réformés.ch où vous êtes accueillie par la même grande image (remplacée depuis lors) et lisez un texte d’un des co-rédacteurs de Réformés qui vous passe une vraie bordée parce que vous êtes de ceux qui n’ont pas apprécié l’image à sa juste valeur. Vous êtes, en deux mots, un chrétien attardé encore empêtré dans les interdits sexuels et prisonnier d’une interprétation littérale de la Bible. Tout dialogue avec vous est inutile. Vous êtes plantée là, triste, triste.

Celui qui veut s’exprimer par l’image doit être particulièrement attentif au message qu’il veut faire passer et donc au public qu’il veut atteindre.
Suzette Sandoz

En 2015, le terrible massacre de Charlie Hebdo avait déjà incité à se poser la question de la liberté de l’humour. Et si la réponse était claire en ce sens que l’on peut rire de tout, en revanche, des nuances avaient été apportées par beaucoup de personnes sur deux points: il faut tenir compte de la réception par le public et de l’impact propre à l’image. C’est à ces deux points de vue que la responsabilité de l’humoriste, voire de l’artiste, est engagée.

Certaines formes d’humour sont réservées au cercle des intimes, d’autres, à un public de connaisseurs, d’autres encore au grand public. L’humoriste de talent sait faire la différence et mesure éventuellement à l’avance la réception de ses plaisanteries.

Mais la responsabilité est beaucoup plus grande encore quand l’humour est concrétisé par l’image. Le texte respecte la liberté du lecteur qui peut très vite sauter des lignes, éviter un sujet, prendre de la distance par rapport à des mots. L’image est une agression, une atteinte à la liberté du «lecteur», car il ne peut pas ne pas la voir. Il peut certes ne pas s’y attarder, tourner rapidement une page, mais il aura vu et même, parfois, aura eu le temps d’être blessé.

Celui qui veut s’exprimer par l’image doit être particulièrement attentif au message qu’il veut faire passer et donc au public qu’il veut atteindre. L’image-choc peut être l’indice d’une incapacité de dépasser son propre fétichisme ou sa propre idée fixe.  La réaction négative en chaîne que vient de déclencher la rédaction du mensuel Réformés en publiant une photo extrêmement provocante sous prétexte d’accueil de la différence sexuelle  illustre cette affirmation.  Celui qui manie l’image doit réfléchir deux fois avant de se croire génial ou pédagogue.