Star Wars: la force du mythe

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Star Wars: la force du mythe

21 décembre 2017
Chronique
Le dernier opus de la saga Star Wars crève les écrans. Les fans remplissent les salles de cinéma. Et si la série était plus qu’un simple produit de consommation culturelle? Quels rapports la saga entretient-elle avec les religions et le mythe?

Les adeptes du Jediisme seraient un peu plus de 500’000 autour du globe. Le mouvement religieux se considère comme non-théiste et se base sur les enseignements philosophiques et spirituels des Jedi, ces moines-chevaliers issus de la saga Star Wars. Il ne fait nul doute que les pratiquants iront communier ensemble dans les salles de cinéma qui projettent le dernier opus de la série.

Le phénomène n’est pas nouveau. Il serait apparu en 2001, lors d’un recensement sur les pratiques et les adhésions aux grandes religions en Angleterre. Et depuis, le Jediisme a fait son bout de chemin. En 2015, l’émission«Faut pas croire» consacrait son plateau à une discussion sur le Jediisme entre Marc Atallah, directeur du Musée de Science-Fiction d’Yverdon, la Maison d’Ailleurs et Irene Becci, sociologue des religions à l’Université de Lausanne. Depuis deux ans, le débat n’a pas pris une ride:

Si certains y trouvent matière à fonder une nouvelle religion, d’autres interrogent la matrice religieuse sur laquelle s’appuie Star Wars. Un vernis monothéiste accompagne les différents récits de la saga qui se décline non seulement sous la forme de films -  ses supports les plus connus - mais également grâce à d’autres médias: des romans, des BD mais aussi des séries à l’instar de «Clone Wars» ou encore «Star Wars Rebel». Pour comprendre le phénomène, on peut être tenté de remonter à sa source. Son créateur, George Lucas est clair: «Je n’ai jamais voulu inventer une religion. J’ai voulu essayer d’expliquer de façon différentes les religions qui ont existé. J’ai voulu les exprimer toutes». Lucas s’affiche clairement comme un agnostique. Il n’en demeure pas moins qu’il est issu d’une famille méthodiste.

Un grand récit protestant?

Des théologiens et des philosophes écument depuis longtemps les planètes de la galaxie Star Wars. Un exemple parmi tant d’autres: pour le philosophe Mark Alizart, auteur de l’ouvrage «Pop-théologie», les films de Star Wars relèvent du protestantisme: «la saga ne raconte pas seulement l’opposition entre la Foi-Lumière et la Loi-Ombre, mais bien le conflit entre les deux côtés de la même religion: un côté lumineux du christianisme, incarné par le protestantisme et sa grâce (la Force), et un côté «obscur», incarné par le catholicisme et la même grâce, mais comme pétrifiée (illustrée par le corps devenu machine de Dark Vador)».

Mark Alizart va même plus loin et propose une lecture méthodiste des films. «Le récit met en scène un conflit interne au protestantisme: celui qui oppose le côté obscur, intellectuel, raide, méprisant du calvinisme anglais au côté lumineux, rebelle, irrationnel, mâtiné de croyances folkloriques empruntées aux Native Americans du protestantisme méthodiste américain». Et le pop-philosophe de mettre en parallèle le destin de Dark Vador avec celui de Cromwell tandis que maître Yoda devient la réincarnation de John Wesley, pasteur fondateur du méthodisme. «Autrement dit, le film oppose non seulement les protestants aux catholiques, mais aussi les protestants américains aux protestants anglais, et peut-être même les protestants américains entre eux, ceux du Sud et des terres, baptistes et méthodistes, à ceux du Nord et des villes, légitimistes et Wasp. Rien d’étonnant à cela: Star Wars est d’abord, et avant tout, un film… américain», conclut Mark Alizart. L’analyse du philosophe prête à sourire et relève plutôt de l’exercice de style. Il construit sa réflexion en se basant sur les personnages et surtout en partant du principe que l’éducation religieuse a puissamment pesé sur George Lucas au moment de la création de son oeuvre. Or, rien n’est moins sûr.

Force et christianisme ne font pas bon ménage

Mais Star Wars ne s’inspire pas seulement du christianisme, loin de là. La Force, ce principe de vie et d’énergie présent dans tout être vivant, est certainement plus lié à la notion d’interconnexion telle qu’on la trouve dans le bouddhisme ou les sagesses présocratiques de la philosophie grecque. De plus, il existe un gouffre abyssal entre le culte rendu à la force et la croyance chrétienne. Les Padawans, ces apprentis destinés à devenir des chevaliers Jedi, sont choisis parce qu’ils sont biologiquement déterminés à ressentir la Force. Cette perception de l’énergie qui réside dans tout ne s’acquière pas par l’expérience dans l’univers de la saga. C’est au contraire quelque chose de fondamentalement inné qui se situe à l’opposé de  l’universalisme chrétien.

On pourrait essayer de raccrocher le wagon en mentionnant l’hypothèse de l’existence d’un gène spécifique à la croyance, mais cette théorie n’est pas à l’ordre du jour, n’en déplaise à certains neuroscientifiques. «Il n’y a donc dans cette religion aucune forme de conversion ou d’initiation», relève le journaliste Gauthier Vaillant dans un article publié par le journal la Croix. La Force, tu l’as ou tu ne l’as pas. Un point c’est tout. 

Un grand récit mythologique

La question n’est peut-être pas de savoir dans quelle mesure la saga est tributaire de telle ou telle religion. Elle s’inscrit dans le champ des grands récits mythiques qui nous transportent et nous font vivre toute une palette d’émotions jouant sur les grandes questions sociales, spirituelles ou politiques du moment. «Sorti en Italie durant les années de plomb, Star Wars y fut accueilli comme un film de propagande cryptocommuniste (un groupe de rebelles tentant de déstabiliser les forces impérialistes). En France, ses thèmes de chevalerie et le visuel noir et blanc de ses protagonistes lui vaudront des soupçons de crypto-fascisme.  (…). En 1983, lorsque le président Ronald Reagan évoque l’URSS sous le terme "Empire du Mal" et lorsque les médias rebaptisent son projet de défense stratégique "projet Star Wars", Lucas est obligé d’intervenir publiquement pour soustraire sa création à toutes ses dérives idéologiques qui semblent l’affliger. C’est peine perdue.», écrit Rafik Djoumi dans un article publié par la revue des deux monde.

Pour ma part, j’aime penser que la saga vole de ses propres ailes. Un peu à la manière de l’Iliade et de l’Odyssée, grands récits de la mythologie grecque sans cesse réinventés par les aèdes, ces poètes qui chantaient les hauts faits des héros grecs. George Lucas ferait alors office d'Homère. Il est une figure fondatrice du mythe qui repose en grande partie sur ses épaules. Mais le récit s’est peu à peu détaché de son auteur. Il s’est autonomisé notamment par la voix de nombreux auteurs, dessinateurs, scénaristes et réalisateurs qui se s’en sont appropriés la matière. Et qui réécrivent constamment la Saga. On en retrouve d’ailleurs la trace jusque dans le rap français. Voilà ce que ça donne quand le groupe «IAM» s’empare de Star Wars:

Le mythe Star Wars serait donc un peu à l’image d’un palimpseste, du nom de ces manuscrits médiévaux dont on a gratté l’écriture pour y inscrire un autre texte. Mais la constante réécriture du mythe a aussi ses limites. Récemment, George Lucas a vendu la licence Star Wars aux studios Disney. Ce sont dorénavant eux qui pilotent le grand récit de la saga. Quelle place vont-ils laisser aux fans de la série qui s’apprêtent à communier autour de la parution sur les grands écran de l’épisode VIII? 

Une chose est sûre: le nouvel opus fonctionnera aussi bien que n’importe quel culte de Noël. A l’heure où les cinémas tirent la langue et peinent -tout comme les églises- à faire le plein de fidèles, ce nouvel épisode remplira les salles. 

Pour aller plus loin:

La Maison d'Ailleurs propose une exposition intitulée "Je suis ton père". Extrait du texte de présentation:

Comment donnons-nous du sens à nos actions, à nos jugements et à notre place dans le monde ? L’analyse menée en 1979 par le philosophe Jean-François Lyotard rappelle que cette question, longtemps prise en charge par les « Grands Récits » (Mythes, Religions, Idéologies, etc.), se retrouve aujourd’hui sans réponse ; l’homme postmoderne évolue dans une époque dont la direction et la signification sont devenues problématiques.

Toutefois, et puisque l’être humain est toujours en quête de sens, il est peu étonnant de voir certaines fictions actuelles occuper la place des mythes et religions d’antan. Ce constat, abstrait, est au cœur de la nouvelle exposition de la Maison d’Ailleurs – « Je suis ton père ! » –, une exposition qui, grâce au regard original des treize artistes contemporains internationaux invités à Yverdon-les-Bains, traite des bien nommés mythes modernes, en particulier du plus universellement connu d’entre eux : Star Wars, de George Lucas.

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